PHOTOGRAPHIE

Harry Shunk et János Kender, la photo au service des arts

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2019 - 852 mots

Sauvé par la Fondation Roy Lichtenstein, le fonds Shunk et Kender confié au Centre Pompidou livre pour la première fois le regard singulier de ce duo, relevant tant du documentaire que de l’œuvre, sur l’avant-garde artistique des années 1960-1970.

Paris. On peut l’ignorer ou l’avoir oublié : de 1957 à 1973 Harry Shunk et János Kender (1924-2006) ont documenté sans relâche l’avant-garde artistique de Paris à New York et bien au-delà. Le Saut dans levide et les « Anthropométries »d’Yves Klein comptent parmi les images les plus connues de ce duo à la vision fort recherchée en leur temps par les artistes, galeristes et autres acteurs de la scène artistique. Leurs photographies étaient d’ailleurs régulièrement publiées dans les revues et le couple fréquemment sollicité pour photographier ateliers, performances, vernissages et fêtes. En 1974, Pontus Hultén et son équipe, impliqués dans la préfiguration du Centre Pompidou, ont ainsi passé une commande à Harry Shunk sur la vie artistique new-yorkaise dans la perspective de l’exposition inaugurale « Paris-New York » de 1977 ; János Kender, son condisciple, ayant abandonné la photographie après leur séparation en 1973. Le contrat prévoyait une exposition et un catalogue. Shunk n’honora pas la commande, mais pour acquitter sa dette envoya un bloc de photos remises à la Documentation générale du Musée national d’art moderne, devenue depuis la Bibliothèque Kandinsky. D’autres d’expositions et publications furent envisagées par la suite. En vain. La rétrospective « Shunk-Kender », aujourd’hui à la Galerie de photographie, pourrait donc faire figure d’aboutissement de cette commande pour le Centre Pompidou, mais elle s’avère bien plus que cela.

Le Centre Pompidou reçoit une partie de leur fonds

Sa programmation est déjà le résultat du sauvetage d’une archive considérable, qui aurait pu finir dans une benne à ordure comme les effets de Shunk après la découverte de son corps dans son atelier à New York en 2006. Deux ans plus tard, ce fonds est acquis par la Fondation Roy Lichtenstein pour 2 millions de dollars. Durant cinq ans, un vaste travail est entrepris pour inventorier, classer et numériser chaque pièce et retrouver dans le même temps les familles allemande de Shunk et hongroise de Kender, décédé en 2009 dans un centre d’hébergement social de Floride. Parmi ces archives, 10 034 tirages sont donnés à la Bibliothèque Kandinsky en 2014. Car la Fondation Roy Lichtenstein décide de distribuer son fonds à cinq institutions : le Getty Research Institute, la Bibliothèque Kandinsky, la Tate Modern, le MoMA et la National Gallery of Art de Washington – le Getty étant de loin le principal bénéficiaire, suivi du Centre Pompidou, qui ainsi peut présenter la première rétrospective « Shunk-Kender » et éditer un catalogue inédit consacré au travail et à l’itinéraire du duo.

On aurait d’ailleurs pu imaginer un plus grand espace pour cette rétrospective, tonique et rafraîchissante, qui n’aurait pas vu le jour si Florian Ebner, nouveau responsable du département photo du Mnam (Musée national d’art moderne), n’avait proposé à Didier Schulmann, responsable de la bibliothèque Kandinsky, de la concevoir en commun. « C’est la première fois que la Galerie de la photographie accueille une collection de la Bibliothèque Kandinsky. C’est important pour nous, car cette collection permet d’élargir notre champ de vision sur la photo et la notion d’auteur en photographie », souligne Florian Ebner. De fait, la relecture menée de concert par Stéphanie Rivoire et Chloé Goualc’h de la Bibliothèque Kandinsky et par Julie Jones du Département de la photographie du Mnam détache le travail de Shunk-Kender de son aspect uniquement documentaire, auquel il était jusqu’ici réduit – y compris par le Mnam, qui a pu déjà illustrer le contexte de l’œuvre de Klein, d’Arman ou de Niki de Saint Phalle avec leurs photographies.

La teneur documentaire et artistique de ce corpus de près de 400 tirages balaie allègrement les catégories. Au-delà de partager et de présenter la vie de l’atelier et la vie intime, les performances, les soirées, les vernissages ou les installations et expositions des uns et des autres, la vision photographique de Shunk et Kender, puis de Shunk en solo à partir de 1974, révèle un sens de la composition, la spontanéité, la sérialité et une prédilection à saisir une scène sous différents points de vue, servie par un grand savoir-faire en matière de tirage. La série d’images sur Robert Rauschenberg dans son atelier à New York ou sur Andy Warhol de son exposition « Flowers » à la galerie Ileana Sonnabend à Paris les voit ainsi complices jusqu’au lit de la chambre d’hôtel pour Warhol, voire jusqu’à la baignoire pour Arman. Le saut dans le vide de Klein développe ses tenants et aboutissants ; les performances de Yayoi Kusama résonnent avec les représentations de Merce Cunningham et les différents empaquetages de Christo et Jeanne-Claude évoquent les liens tissés avec Shunk et Kender. Ces derniers ne sont pas les seuls à avoir photographié l’avant-garde artistique de cette époque, mais le nombre d’artistes qu’ils ont suivis individuellement, la variété des nouveaux espaces performatifs ou de monstrations qu’ils ont couverts et leurs visions en propre n’ont pas d’équivalent. Synthétiser dans 200 m2 ces chroniques des années 1957-1983 pleines de saveurs, de vitalité, de subversion et d’espièglerie relève de l’exploit !

Shunk-Kender, l’art sous l’objectif (1957-1983),
jusqu’au 5 août, Galerie de la Photographie, Centre Pompidou, place Georges Pompidou, 75004 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Harry Shunk et János Kender, la photo au service des arts

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