Georges Rouault et Henri Matisse

Paris renoue leurs dialogues

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 6 août 2007 - 395 mots

Deux élèves de Gustave Moreau. Le dénominateur commun réunissant Georges Rouault (1871-1958) et Henri Matisse (1869-1954) aurait pu se résumer à ce simple constat, pourtant éloquent. Mais leurs trajectoires respectives sont bien plus que deux lignes droites parallèles traversant plus d’un demi-siècle de peinture et ayant pour point zéro une origine aussi insigne que « ce dévoué patron ». Elles sont deux sinusoïdes complexes qui, lorsqu’elles s’éloignent, y consentent pour mieux se retrouver et s’alimenter. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris révèle les arcanes de ces équations dans un dialogue exceptionnel où aucun des deux artistes ne semble prendre la tangente.
Rouault aurait pu faire sienne la phrase de son maître : « Je donnerais tout cet or pour la boue de Rembrandt. » Et Le Christ au jardin des Oliviers de Moreau semblerait contenir toutes les audaces
à venir de son disciple favori, depuis la liberté expressive de la touche jusqu’à la religiosité du thème, si l’influence de Matisse ne venait nuancer ce constat. Les nus de dos attestent en effet d’une émulation faite d’arabesques et de couleurs saturées. Si Matisse célèbre le Bonheur de vivre avec d’audacieuses Pastorales, Rouault dépeint une humanité grotesque et difforme, peuplée d’une Ivrognesse ou d’Invectives.
La sculpture chez Matisse et la céramique chez Rouault attestent leur aptitude à s’approprier de nouveaux langages plastiques. Et quand le second figure sans concession saltimbanques et acrobates, le premier publie en 1947 des collages autour du cirque. À la plénitude chromatique de Matisse, Rouault, « fou de peinture », oppose des compositions sacrées aussi sourdes qu’éblouissantes.
Octogénaires, les deux hérauts de la liberté plastique ne cessent de créer et de s’entretenir de leurs souvenirs. En 1948, s’estimant trop âgé pour les achever, Georges Rouault brûle devant huissier trois cent quinze peintures, suite à un long procès avec les héritiers de Vollard, son marchand qui lui racheta son fonds d’atelier composé de quelque sept cent soixante-dix œuvres.
En 1958, au soir de sa longue vie et quatre ans après la mort de son aîné, Rouault peut alors se rappeler, satisfait, que, depuis les États-Unis, un nouveau galeriste veille sur ses toiles : Pierre Matisse, le fils de son vieil ami fauve…

« Rouault, Matisse, Correspondances », musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, jusqu’au 11 février 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Georges Rouault et Henri Matisse

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