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Georges Focus, l’académicien fou... de dessin

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 21 novembre 2018 - 567 mots

PARIS

Une exposition exhume l’œuvre tourmenté d’un peintre de Louis XIV, souffrant vraisemblablement d’un dédoublement de la personnalité et ayant suivi une carrière académique avant d’être interné.

Paranoïaque ? Bipolaire ? Schizophrène ? Face aux feuilles totalement hallucinées de Georges Focus, le spectateur se prête, presque malgré lui, au jeu du diagnostic clinique. Et pour cause, son œuvre aussi déroutante que fascinante est un unicum ; la seule connue d’un artiste fou du Grand Siècle. Ses « écritures dessinées », comme il les appelle, ont, chose extraordinaire pour l’époque, été exécutées durant son internement aux Petites-Maisons, l’asile parisien où l’on enfermait les « insensés de condition » de la bonne société. Ce corpus présente de troublantes similitudes avec les créations d’artistes estampillés bruts. Même horreur du vide, même compulsion et même glossolalie. À une différence près : Focus n’est pas un naïf exempt de culture qui s’adonne au dessin dans une visée thérapeutique, mais un pur produit de l’establishment qui a mené une carrière exemplaire. Adolescent, il entre dans l’atelier du peintre Louis Ferdinand Elle, membre fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture.

Un artiste au talent loué par Mariette


L’apprenti est vraisemblablement talentueux, car il est reçu au sein de la prestigieuse institution en 1675 comme peintre de paysage. Malheureusement, aucune toile de sa main n’est aujourd’hui identifiée. Ont-elles été perdues, détruites ou sont-elles attribuées à d’autres artistes ? Mystère. Dommage, car elles devaient valoir le coup d’œil si on se fie au jugement du grand Mariette qui note que le peintre a « laissé de très beaux paysages qui font regretter qu’il n’en ait exécuté un plus grand nombre ». Le seul corpus préexistant à son enfermement et identifié avec certitude est une suite d’eaux-fortes gravées par Gérard Audran : Diverses Veuës d’Italie. Ces paysages imaginaires, classiques de prime abord, laissent cependant entrevoir les prémices de ses troubles psychiques dans leur conception d’une nature inquiétante et un remplissage de la page quelque peu pathologique. Autre certitude, on sait que l’académicien siège ensuite dans la vénérable institution jusqu’en 1683, année où son nom apparaît pour la dernière fois dans les registres.

Ensuite, il est interné, vraisemblablement jusqu’à son trépas, mais continue à dessiner au moins durant la période 1693-1695, qui correspondrait à la réalisation de ses écritures dessinées. Fait rarissime dans l’art ancien, les chercheurs peuvent croiser ces maigres informations avec celles disséminées par l’artiste dans ses dessins. Des indices à considérer toutefois avec précaution, car cette autobiographie entremêle très librement des références à sa vie personnelle, à l’histoire de France, à la mythologie ou à la littérature et des règlements de compte, le tout agrémenté d’un bestiaire fantastique surréaliste avant la lettre.

De toute évidence atteint de dédoublement de la personnalité, puisqu’il se représente tantôt en artiste auréolé d’un nimbe, tantôt en roi dépossédé de son pouvoir par des conspirateurs et même en Christ persécuté par l’Académie, Focus forge un œuvre féroce et singulier qui frappe également par son unité. D’une feuille à l’autre, on retrouve ainsi une mise en page similaire par son format, sa technique et sa composition. Un narrateur au premier plan, qui n’est autre que l’artiste, introduit la scène, tandis qu’un phylactère commente les saynètes parfois confuses dont les traits saturent l’espace, et que le verso est entièrement recouvert d’un sabir indéchiffrable. Une plongée captivante dans la psyché d’un aliéné qui en dit également beaucoup sur les obsessions esthétiques et la culture visuelle d’un académicien.

 

« Georges Focus (1644-1708). La folie d’un peintre de Louis XIV »,
jusqu’au 6 janvier 2019. Beaux-Arts de Paris, Palais des beaux-arts, 13, quai Malaquais, Paris-6e. Du mardi au dimanche, de 13 h à 19 h. Tarif : 7,5 €. Commissaire : Emmanuelle Brugerolles. beauxartsparis.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°718 du 1 décembre 2018, avec le titre suivant : Georges Focus, l’académicien fou... de dessin

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