Archéologie

Gandhara, au carrefour du monde

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2010 - 788 mots

Cette région, située autour de Peshawar, a livré un art atypique qualifié de gréco-bouddhique. Le Musée Guimet, à Paris, met à l’honneur cet héritage culturel du Pakitan.

PARIS - À l’heure où le Pakistan est surtout cité pour son actualité tragique et les attentats dont la population est victime, le Musée Guimet-Musée national d’arts asiatiques, à Paris, met en lumière la richesse patrimoniale du pays en évoquant l’art du Gandhara.

Encerclée de montagnes et bordée de désert, cette région située au nord-ouest de l’actuel Pakistan a été au cœur d’échanges intenses entre l’Inde, l’Afghanistan et l’Asie centrale. Le territoire avait pour centre culturel Peshawar, la « ville frontière », cœur stratégique sur la Route de la soie et haut lieu de pèlerinage bouddhique. Zone intermédiaire située entre l’Inde et l’Iran, le Gandhara a livré un art atypique qualifié de « gréco-bouddhique » pour ses nombreuses influences, d’abord grecques, perses et indiennes, avant d’évoluer et de connaître son apogée sous l’empire Kouchan (fin du Ier siècle au IIIe siècle) à travers le bouddhisme. Puis, après l’invasion des Huns, au Ve siècle, la civilisation du Gandhara disparaît.

Hellénisme revisité
« Philosophie indienne et parfum d’Occident se mêlent ici de façon improbable, l’expressionnisme n’empêchant un certain classicisme, voire une certaine beauté dans le rendu des formes, l’expression du visage, dépassant par là même le niveau de la simple anecdote. » C’est en ces termes que Pierre Cambon, commissaire de la manifestation, décrit les statues de Bouddha et boddhisattva, les bas-reliefs, sculptures et éléments architecturaux issus de temples et de stûpas, de monastères et de palais réunis aujourd’hui à Guimet.

L’exposition parisienne est une nouvelle version de la présentation imaginée par le professeur Michel Jansen et le docteur Christian Luczanits pour le Centre national d’art et d’expositions de la République fédérale d’Allemagne, à Bonn. L’ensemble sera ensuite accueilli à Berlin, au Martin-Gropius-Bau, avant Zurich, au Rietberg Museum.

Les pièces proviennent des plus importants musées pakistanais ; ceux de Peshawar et de Lahore, du Musée national du Pakistan, à Karachi, ou du Musée archéologique du Swat. Sans oublier le Musée de Taxila, qui abrite les vestiges mis au jour sur le site archéologique du même nom, situé à 40 kilomètres à l’ouest d’Islamabad et classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Les archéologues y ont découvert les vestiges de trois cités – une ville gréco-indienne (Bhir Mound), une autre gréco-parthe (Sirkap) et une troisième kouchane (Sirsukh). Citons parmi les plus beaux objets cette palette à fard appelée Apollon et Daphné et conservée à Karachi.

Les œuvres de type gréco-indien ici présentées, comme l’Athéna prêtée par le Musée de Lahore, empruntent des thèmes au monde hellénistique. « L’hellénisme paraît revisité, littéralement transformé, dépassé de l’intérieur avec ses propres codes et l’image atteint des dimensions tragiques parce qu’elle reste profondément humaine, parce qu’elle témoigne aussi d’une soif de vérité, d’une recherche d’absolu au-delà même des contingences de l’existence terrestre », analyse Pierre Cambon. Les premières images bouddhiques témoignent elles aussi d’un étonnant mélange de genres et la figure du Bouddha relève, pour le conservateur, aussi bien du sage indien que du prince indo-grec de type apollinien.

Contrairement à de nombreuses civilisations d’Asie centrale, la chronologie de l’art du Gandhara est établie : les œuvres ont d’abord été conçues selon des préoccupations didactiques afin de relater les principales étapes de la vie du Bouddha, puis elles se sont codifiées au fil du temps pour se résumer à quelques-uns de ses grands épisodes, avant l’apparition de triades (avec, au centre, le Bouddha assis sur un lotus) de plus en plus complexes. La scénographie suit cette évolution en évoquant les paysages minéraux du Gandhara et les fouilles réalisées dans la région, avec des cimaises dont la surface imite la roche et une multitude de points de vue.

L’exposition accueillie par le Musée Guimet s’inscrit dans la lignée de celles qui, à l’instar d’« Afghanistan, les trésors retrouvés » en 2006, mettent en lumière un patrimoine de l’humanité mis à mal ou menacé. Ce n’est un secret pour personne : l’héritage bouddhique de la région est dans la ligne de mire des talibans. Le climat d’insécurité a fait fuir touristes et chercheurs étrangers tandis que les archéologues pakistanais poursuivent leur travail dans des conditions parfois extrêmes. « Dans le contexte actuel où la culture est remise en question, où la confusion prédomine dans les termes employés, où l’islam est souvent utilisé contre son propre gré, une telle exposition appelle à plus d’humilité à l’Ouest comme à l’Est », conclut Pierre Cambon.

PAKISTAN (Ier-VIe SIÈCLE). TERRE DE RENCONTRE, jusqu’au 16 août, Musée Guimet-Musée national des arts asiatiques, 6, place d’Iéna, 75116 Paris, tél. 01 56 52 53 00, www.guimet.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. RMN, 160 p., 30 euros, ISBN 978-2-7118-5731-9.

PAKISTAN

Commissaire : Pierre Cambon, conservateur en chef du Musée Guimet

Scénographe : Massimo Quendolo et Léa Saïto

Nombre d’œuvres : 200

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Gandhara, au carrefour du monde

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