Art moderne

Gallen-Kallela, l’âme finnoise

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 février 2022 - 772 mots

PARIS

Peintre emblématique du génie finlandais au tournant des XIXe et XXe siècles, Akseli Gallen-Kallela est cette fois l’hôte du Musée Jacquemart-André, qui se penche sur le thème de la nature.

Un changement de nom est parfois lourd de sens. En 1907, quand Axel Gallen (1865-1931) troque son patronyme suédophone pour Akseli Gallen-Kallela, il se forge sciemment une nouvelle identité qui revendique fièrement une consonance finnoise. Bien plus qu’une modification d’état civil, ce second baptême s’apparente à un véritable manifeste culturel pour celui qui est alors le peintre le plus célèbre de Finlande. Et pour cause, car, en l’espace de quelques années, il est devenu le chantre de la culture et des paysages de cette nation scandinave, et même le porte-drapeau d’un pays tout entier qui bâtit sa destinée politique. Ses tableaux exaltant la beauté de la nature et des mythes finlandais ont en effet grandement participé à l’émergence d’un sentiment national au tournant du siècle, alors que la contrée nordique luttait pour arracher son indépendance à la Russie. Cette intime intrication entre les aspirations d’une jeune nation et l’élaboration d’un style local est cruciale pour comprendre le succès de ce peintre et la résonance de son œuvre qui transcende, aujourd’hui encore, la sphère artistique.

Un symbolisme lyrique

Paradoxalement, celui qui est considéré comme le prophète de la Finlande moderne a plongé son pinceau dans les racines de son pays, qu’il s’agisse des sites naturels ancestraux, mais aussi du folklore, sans oublier l’incontournable légende du Kalevala. Le peintre va littéralement donner vie à cette saga indissociable de l’âme finnoise. Loin du simple exercice d’illustration, l’artiste s’empare de cette épopée nationale et en fait un terrain d’expérimentation plastique. Il puise dans ce récit mythique, où se côtoient créatures fantastiques, femmes aussi fatales que puissantes et héros intrépides, des motifs inédits. De cette légende épique, le peintre tire un cycle peint unique à la tonalité très graphique qui annonce l’esthétique de l’heroic fantasy. En 1900, la présentation de cet ensemble hors norme, à la fois vigoureux et décoratif, le consacre comme un immense artiste. Déployé au cœur du pavillon de la Finlande de l’Exposition universelle, il est l’une des attractions les plus remarquées de l’année 1900. Plus largement, ce projet occupe une place à part dans sa carrière, car c’est en remontant aux sources du mythe qu’il se passionne pour la nature de son pays. Pour être au plus près de l’atmosphère du récit, le peintre sillonne la nature vierge de la province de Carélie à la recherche des forêts où se serait déroulée la saga. Pour lui, qui s’est formé à Helsinki, puis à Paris à l’Académie Julian, ce retour à l’état sauvage est un choc, une révélation. Bouleversé par cette nature préservée et pétrie de sacré, il développe une approche du paysage chargé d’un symbolisme lyrique. Lacs, bouleaux, nuages prennent une dimension poétique profondément introspective. Sauvage et mystérieuse, la nature se donne à voir dans des paysages magnétiques d’une beauté primitive. Nourri des conceptions spirituelles typiques de l’esprit fin de siècle, il accorde une place fondamentale à la question de la lumière. Tantôt éblouissante, tantôt caressante, mais toujours mystique, cette lumière caractéristique des pays du Nord inonde littéralement ces paysages boréaux. Magnétique et majestueux !

Le lac Keitele

Province parsemée de lacs, la Carélie est un réservoir inépuisable de sites pittoresques. Gallen-Kallela va multiplier les paysages magnifiant les effets de la lumière et des nuages sur des étendues d’eau paisibles. Ses paysages silencieux offrent ainsi un spectacle vibrant. L’artiste travaille au plus près de son motif. Parfois, il plante son chevalet sur les hauteurs, ce qui explique ses lignes d’horizon très hautes ; tandis que pour ses formats carrés, il aime travailler directement dans sa barque.

Les Skieurs Akseli et Jorma

Activité incontournable dans cette contrée enneigée, le ski tient une place à part dans le quotidien de l’artiste, qui peut skier jusqu’à 60 kilomètres par jour pour dénicher un site. Très valorisée dans la culture scandinave, l’activité physique est un motif cher au peintre, qui en offre ici une vision très dynamique. Ce tableau témoigne aussi de son intérêt pour les avant-gardes, puisque sa palette vive et sa touche très libre s’inspirent des préceptes du fauvisme et de l’expressionnisme.

Ad Astra

Artiste symboliste, Gallen-Kallela est pétri des réflexions de son époque sur l’occultisme, l’astronomie et la pensée théosophique. Taraudé par des questionnements existentiels, il réalise plusieurs œuvres sur le cycle de la vie, mais aussi des compositions énigmatiques irriguées par le symbolisme cosmique. Son tableau Ad Astra est certainement le plus mystique et le plus singulier de cette production. Vision atypique de la Résurrection, ce tableau-objet mêle des références chrétiennes et occultistes.

« Gallen-Kallela. Mythes et nature »,
du 11 mars au 25 juillet 2022. Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, Paris-8e. Tous les jours de 10 h à 18 h, nocturnes les samedis et dimanches jusqu’à 19 h 30 et les lundis jusqu’à 20 h 30. Tarifs : 10 à 17 €. Commissaires : Laura Gutman et Pierre Curie. www.musee-jacquemart-andre.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : Gallen-Kallela, l’âme finnoise

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