Art contemporain

Françoise Pétrovitch, un art qui résiste

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 13 février 2019 - 394 mots

SAINT-PIERRE-DE-VARENGEVILLE

Ses étranges figures adolescentes tracées sur un fond nu paraissent inaccessibles.

Saint-Pierre-de-Varengeville (Seine-Maritime). Devant les œuvres de Françoise Pétrovitch, accrochées pourtant sur des murs blancs avec simplicité et justesse, le spectateur ne peut s’empêcher de ressentir une forme de frustration. Les toiles, malgré leurs sujets familiers, semblent résister au regard. Les « acteurs » anonymes, sur un fond dénudé, paraissent s’être retirés dans un monde sans parole. À l’expressivité traditionnelle du regard se substitue un sentiment de vacuité et de vide psychologique (Le Fumeur, 1918, montre un personnage étrange aux yeux « troués » ; Nocturne, 2016, une jeune fille dont le visage est recouvert d’un masque).

« Figures d’incertitude »

Situation frustrante également car ces travaux évoquent des bribes de récits, des mini-fictions, des séquences interrompues. Mais, à l’instar d’un poste de télé dont on aurait coupé le son, ces histoires muettes, dépourvues de tout détail anecdotique, de tout élément parasite, restent inaccessibles.

Clairement figurative, cette peinture, malgré la précision du trait, met en scène des « figures d’incertitude », êtres humains ou animaux – chiens, oiseaux – privés le plus souvent d’évidence et de netteté. Le lavis et même la peinture à l’huile ne sont jamais opaques ; le tout peut se modifier d’un instant à l’autre, dans un univers où des formes labiles qui s’étirent semblent en arrêt momentané. C’est que Pétrovitch a pratiqué pendant longtemps de manière exclusive le dessin laissant visible un fond nu, une technique qui a marqué l’ensemble de son œuvre.

Ses personnages sont représentés dans des positions improbables, voire impossibles. Ainsi, la série « Étendu » (2018) présente des hommes ou des femmes allongés, suspendus dans un cadre qui échappe à toute localisation précise. « Ces postures suggèrent le support (sofa, sol) qui les a produites mais qui n’est pas représenté – le réel – est la part manquante de ces “Étendus” participant de deux mondes, réel et onirique », écrit Anne Bonnin dans le catalogue.

Mais l’inquiétante familiarité qui se dégage de cette production picturale s’explique peut-être aussi par le choix de Pétrovitch de traiter uniquement des jeunes gens. Rien toutefois ici de la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. Ce que l’artiste montre est plutôt un monde à part, celui d’un être enfermé dans ses préoccupations, dans lequel aucun adulte ne pénètre vraiment. Ces corps parfois maladroits, ces expressions obtuses, cet « autisme » adolescent sont les signes d’un malaise qu’elle capte et transmet avec une violence contenue.

Françoise Pétrovitch,
jusqu’au 7 avril, Matmut pour les arts, centre d’art contemporain, 425, rue du Château, 76480 Saint-Pierre-de-Varengeville.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Françoise Pétrovitch, un art qui résiste

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