Fabio Mauri, l’indispensable hommage

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 701 mots

À en croire sa biographie, l’artiste italien Fabio Mauri a exposé pour la première fois à Paris en avril 1996 à l’âge de soixante-dix ans, et encore, dans le cadre d’une exposition collective. Une seconde invitation lui est faite aujourd'hui au Fresnoy, qui prend la forme d’un hommage anthologique, d’un amendement tardif assumé par Dominique Païni, commissaire admiratif de l’exposition. Toujours à la tâche et pourtant fort d’un parcours largement distingué en Italie et dans les pays anglo-saxons, Mauri n’avait jusqu’ici jamais bénéficié des honneurs du milieu ou du marché de l’art français. L’oubli est en passe d’être réparé. Et de belle façon. L’artiste s’est vu offrir la grande halle du Fresnoy, qu’il investit à la manière d’une installation totale. L’exposition énonce un remarquable aperçu d’un demi-siècle d’exigence plastique et intellectuelle. Dramaturgie, scénographie, édition, écriture ou arts plastiques, il est bien difficile de commenter un itinéraire adoptant de multiples pratiques et avant tout défini comme une trajectoire intellectuelle. Exprimant l’art comme discours, Fabio Mauri embrasse intentionnellement les inflexions d’inspiration conceptuelle et minimaliste du XXe siècle. Mais cela ne suffit pas à lui attribuer une classification valide. Proche de Pasolini, des mouvances italiennes d’extrême gauche dans les années 1970, infatigable acteur social et politique, il partage avec ses contemporains de l’Arte povera le recours à l’archétype, aux matériaux ordinaires et naturels ainsi qu’une implication substantielle du politique et de l’idéologique.

Mais Mauri y adjoint une qualité inquiète, faite de rigueur intellectuelle, d’appétit formel et de spiritualité chrétienne. Il partage encore avec le nouveau réalisme une certaine méthode d’appropriation du réel, faite d’assemblages ou de bricolages. Mais le mode descriptif se double chez Mauri d’un exercice critique comme condition nécessaire à la survie de l’homme moderne, condamné à affronter le douloureux apprentissage de la mémoire, dans une dialectique toujours renouvelée des temps présents et passés, hantée par le spectre fasciste. Le parcours édifié se place sous le signe de l’image, comme instrument de langage dans la culture occidentale moderne. Inlassablement Mauri en interroge la manipulation et les moyens de communication. L’image est matière, écran/surface abstraits, tendue sous une toile blanche, lieu de projection guidé par les didascalies qui la soulignent autant que par la représentation qu’en fait le regardeur, dans la série Pourquoi une pensée intoxique une chambre ? Elle est média, déclinée dans une série monumentale de photos historiques, disposées au-dessus de bandes noires de formats variables dans Manipulation de la culture. Figurant des scènes de la société nazie et fasciste, les images sont doublées de phrases descriptives et distanciées, démasquant la mécanique de la manipulation idéologique. L’image est finalement toujours mensonge, guidée par la seule intentionnalité de ceux qui la font, la diffusent ou la regardent. C’est à ce seul prix que la mémoire, tributaire de l’image, peut s’exercer et préparer ainsi les conditions de la critique. D’intention plus poétique et plastique, voire picturale, les dispositifs de projection de films en 16 mm usent d’objets (ventilateur, pèse-personne, seau rempli de lait), de corps réels ou métaphoriquement évoqués, comme autant d’écrans de projection. Ainsi pour Pasolini, une veste en jean et une chemise blanche font office d’écran, diffusant l’Évangile selon saint Matthieu et (re)présentent une performance exécutée en 1975 par le poète-cinéaste. Mauri opère alors à une forme de greffe, renvoyant l’image filmique à son auteur et à son incarnation charnelle. L’exposition s’éprouve finalement dans son ensemble, aussi bien réflexif que visuel, plongeant le visiteur dans un environnement brutal et sensible.

À la perspective repue d’images familières, aux questions durement jetées, s’ajoute la présence troublante des cinéastes disparus, les rayons lumineux, le bourdonnement nostalgique des projecteurs 16 mm et une bande sonore très présente, alternant bruit des bombes, mélodies mélancoliques ou sucrées. On en retient surtout le plaisir émouvant, rare, de surprendre une œuvre pleine et entière, une trajectoire d’une belle intelligence tout entière tournée vers « l’impact entre l’esprit et le monde ».

Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, 22 rue du Fresnoy, tél. 03 20 28 38 00, 1er mars-27 avril. Le 18 avril à 18 h 30 une performance de Mauri mettant en scène Metropolis de Fritz Lang projeté sur le dos nu d'un homme est programmée au Centre Pompidou, à Paris (cf. Image du mois, pp. 6-7).

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Fabio Mauri, l’indispensable hommage

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