Europe, femme-continent

La Galerie des Offices honore la déesse de la mythologie

Le Journal des Arts

Le 28 juin 2002 - 598 mots

Traité sur un mode dramatique ou galant, l’épisode de l’enlèvement d’Europe a nourri l’imaginaire des artistes de l’Antiquité au XXe siècle. En 150 œuvres, la Galerie des Offices à Florence met en lumière les variantes du mythe selon les contextes historiques et politiques.

FLORENCE (de notre correspondante) - Jeune fille enlevée par Jupiter transformé en taureau, transportée ensuite en Crète, Europe, dont l’histoire nous est rapportée par la mythologie gréco-romaine, semble avoir donné son nom à notre continent, située à l’ouest de l’Asie Mineure. L’exposition présentée dans la grande salle du premier étage de la Galerie des Offices montre les multiples interprétations de la légende d’Europe par les auteurs anciens et modernes (depuis Ovide, Horace et Lucien jusqu’à Boccace, Politien... ) et son extraordinaire succès dans les arts figuratifs. Environ 150 œuvres (tableaux, sculptures, arts décoratifs et manuscrits) donnent les diverses déclinaisons de ce mythe, en mettant en lumière les variantes et les développements liés aux contextes historiques et politiques dans lesquels elles ont été conçues. L’itinéraire de l’exposition s’articule autour de modules thématiques ou typologiques dans un parcours essentiellement chronologique, et particulièrement riche. Celui-ci commence par une section consacrée aux arts figuratifs classiques, lorsque le mythe inspirait des représentations sur les bas-reliefs, les vases, mosaïques, pierres précieuses et camées. Redécouverte par le milieu humaniste, Europe est représentée chez Liberale da Verona et Filippino Lippi, Bernardino Luini et Raphaël, comme une héroïne et une épouse ; elle apparaît souvent dans les cycles mythologiques du XVIe siècle exaltant les amours de Jupiter. Ce thème est particulièrement présent dans la peinture vénitienne, avec là aussi de nombreuses variantes, depuis Giorgione jusqu’au Tintoret – dont un des quatorze octogones consacrés aux Métamorphoses d’Ovide, décorant un plafond de la Galleria Estense de Modène, est exposé. Si Titien traite l’iconographie de l’enlèvement comme un événement bouleversant, nourri de suggestions érotiques, Véronèse privilégie la situation galante d’une jeune fille se préparant au mariage, tandis que Bassano situe le rapt derrière un premier plan peuplé de troupeaux. Depuis le XVIe siècle, Europe apparaît aussi comme une personnification du continent, matrone entourée des attributs qui en identifient les traits culturels et naturels, reine titulaire de la dignité impériale, des sciences, des arts, des lettres, ou bien encore femme-continent déchirée et affligée par les guerres et les divisions religieuses. Il est emblématique à ce propos de voir le tableau de Rubens sur les désastres de la guerre.

Loin maintenant de ces allégories politiques, la jeune fille aimée de Jupiter triomphe dans la peinture bolonaise, où les empâtements chromatiques très délicats d’Annibale Carrache, de l’Albane ou de Guido Reni traduisent la sensualité candide décrite par les auteurs anciens, et la langueur ou la défaillance d’Europe sont exprimées avec des gestes dramatiques. Mais ce mythe est présent aussi dans le monde caravagesque, avec Piola, l’Orbetto et aussi Padovanino et Luca Giordano, dans un tourbillonnement de compositions très peuplées. Les trouvailles galantes de Véronèse font école au XVIIIe siècle, et non seulement en Italie avec Tiepolo, Zais et Crosato, mais aussi en France avec Watteau et Boucher. En revanche, au XIXe siècle, à une époque où l’on exalte la nation et les traditions locales, le récit mythologique se fait plus rare – bien qu’il ait été traité, outre-Atlantique, par l’Américain Benjamin West. Il réapparaît ensuite, dans la seconde moitié du siècle, chez les symbolistes comme Gustave Moreau, puis au XXe siècle, avec Paul Klee et Max Ernst et surtout Picasso qui s’empare des mythologies taurines méditerranéennes.

- LE MYTHE D’EUROPE, jusqu’au 6 janvier, Galerie des Offices, Piazza degli Uffizzi, Florence, tél. 39 055 23 88 655, tlj sauf lundi 8h-30-19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Europe, femme-continent

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