Europalia 98, sous le signe de la Tchéquie

L'ŒIL

Le 1 novembre 1998 - 560 mots

À l’aube de son adhésion imminente à l’OTAN, et alors que s’entament les premières négociations qui doivent aboutir à son intégration dans l’Union européenne, la Tchéquie est l’heureuse hôte de la quatorzième édition d’Europalia.

Ce festival, dont l’ambition est de faire connaître au public belge et international la richesse culturelle d’un pays, prend cette année une résonance particulière du fait des liens historiques et artistiques unissant République tchèque et Belgique. Ces deux pays ont connu plusieurs périodes dynastiques communes, notamment sous les Habsbourg au XVIIIe siècle. Dans le domaine artistique, on songe immédiatement à l’étonnante floraison de l’Art Nouveau à Prague comme à Bruxelles. Nul étonnement à ce que ce mouvement fournisse le thème de l’exposition centrale du festival, « Prague Art Nouveau, métamorphoses d’un style », qui constitue sans doute la manifestation la plus importante jamais consacrée à l’art tchèque du début de ce siècle. Quatre cents objets (peintures, sculptures, plans d’architecte, photographies, céramiques, verreries, bijoux, tapisseries...) restituent de manière exhaustive la vitalité de cette époque et la fièvre des années d’avant guerre. En cette fin de XIXe siècle, tout semble possible à Prague. La ville se dote d’infrastructures à la mesure de sa vocation de métropole moderne, tandis qu’une loi d’assainissement rase les quartiers les plus vétustes, offrant de nouveaux espaces à l’appétit des bâtisseurs urbains. Tout un répertoire de formes et de compositions est à définir. Dans sa quête d’identité nationale, la société pragoise a soif d’une esthétique nouvelle, indépendante du ton artistique officiel donné par la monarchie des Habsbourg, et célébrant une Prague reconquise par la culture tchèque. À l’origine de la Secese – la Sécession pragoise – une association, Manes, et une revue, Volné Smery (Libres Tendances), animées par quatre figures clés : les peintres Max Svabinsky et Jan Priesler, le sculpteur Stanislav Sucharda et le « Parisien » Alfons Mucha, qui contribua largement, à travers ses dessins et affiches, à diffuser en Bohème le langage de l’Art Nouveau français. Après un épisode à l’éclectisme un brin fantaisiste, oscillant volontiers entre néo-baroque et néo-Renaissance – et qui déjà portait un croc douloureux au ramage de la sobriété classique – c’est en effet vers ce dernier que se tournent les artistes tchèques, inaugurant un style lyrique fait de naturalisme, de sinuosités florales et végétales et de lignes fluides. Mais à l’exubérance francophile succède bientôt la rigueur viennoise. À partir de 1907, les courbes turgescentes laissent place aux sèches géométries de la Sécession viennoise, second pôle d’inspiration de l’Art Nouveau tchèque. On retrouve bien ces deux tendances dans la Maison municipale de Prague, la plus grande entreprise collective de la Secese, insolite partition à multiples mains, auxquels collaborèrent Balsanek et Polivka pour l’architecture, Preisler, Spillar, Saloun, Svabinsky ou Mucha pour le décor. Monde végétal et signes géométriques y voisinent dans une recherche utopique de fusion entre nature et culture. Inaugurée tardivement – en 1912 –, cette pièce maîtresse de la Sécession pragoise apparaît pourtant comme un « luxueux catafalque », aux tendances dépassées, au moment où une nouvelle génération d’artistes s’oriente, tant en architecture que dans les arts décoratifs, vers des réalisations cubistes tout à fait uniques au niveau européen. Mais la guerre se chargera d’étouffer les derniers souffles de la Secese, rappelant brutalement la plupart de ses représentants au paradis des artistes disparus.

BRUXELLES, Palais des Beaux-Arts, jusqu'au 17 janvier. À lire : Luca Quattrocchi, La Sécession à Prague, éd. Gallimard, 300 p., 650 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°501 du 1 novembre 1998, avec le titre suivant : Europalia 98, sous le signe de la Tchéquie

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque