Etonnement salutaire

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 523 mots

Le visiteur de la Maison européenne de la photographie, lorsqu’il aura débrouillé le petit jeu de pistes qui le conduit à travers huit prestations plutôt hétéroclites – la Françoise de Plossu et la Lélia de Boubat voisinant avec les femmes algériennes de Hocine, Van der Keuken, Jim Dine, Weegee sur un étage – aura au moins la surprise d’un autre jeu, contraire et contrariant, celui de l’enfermement.

PARIS - Commande passée à l’écrivain, collectionneur, critique et esprit dérangeant Bernard Lamarche-Vadel, l’exposition-modèle de l’un des thèmes retenus pour le Mois de la Photo provoque un étonnement salutaire, surtout lorsque l’on sort de l’alignement aseptisé des photographies de Weegee, où les espaces uniformes consacrés à l’Opéra, aux meurtres nocturnes, aux facéties de cabaret se neutralisent réciproquement.

L’espace de “l’enfermement” est une reconstitution d’un appartement bourgeois-névrosé (salon, chambre, bureau, couloir), mélange élégant de rustique et de branché, semé de dossiers judiciaires et de lampes, appliques, spots directionnels, dans lequel les photographies, en abondance, côtoient des animaux empaillés. Anonymes, sans cartel ni autre possibilité d’identification, les images sont telles qu’elles seraient dans l’appartement d’un collectionneur, mais détachées de toute valorisation spécifique en tant qu’œuvre d’auteur.

La tentative de renversement des règles admises ne manque pas d’intérêt, sans toutefois parvenir à convaincre de la cohésion d’un thème qui autorise à regrouper Philippe Bazin et Giacomelli – des vieillards dans les hospices –, des jeunes paumés de Tulsa par Larry Clark, les vitrines de Friedlander, les Depardon – San Clemente –, Lynne Cohen, Faigenbaum ou Rondepierre. La problématique d’une cohérence a posteriori des messages photographiques reste un des butoirs de toute exposition. Bernard Lamarche-Vadel fait mine de s’en échapper en proposant un jeu (théâtral) dans lequel “visiteurs et photographies seraient les acteurs qui se répliquent”, non sans avoir prévu un mode d’emploi sous forme d’un texte (de la pièce) opportunément édité par Christian Bourgois : Comment jouer enfermement. Que l’on entre ou non dans ces jeux de miroir “réfléchisseurs”, et au-delà de l’effet-choc recherché, cette action-limite produite à la Maison européenne de la photographie devrait logiquement mettre en question la neutralité habituelle des expositions dans ce lieu dont les murs blancs absorbent patiemment les messages les plus détonants – qu’ils se nomment Hocine, Weegee ou Boubat.

- JOHAN VAN DER KEUKEN, jusqu’au 22 décembre, Maison de l’Amérique latine, 217 bd Saint-Germain, 75007 Paris, tél. 01 49 54 75 00 ; jusqu’au 14 février, MEP, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00. - TOSHIO SHIBATA, jusqu’au 4 janvier, Centre national de la photographie, 11 rue Berryer, 75008 Paris, tél. 01 53 76 12 32 ; jusqu’au 23 janvier (fermé du 24 décembre au 4 janvier) , Galerie Françoise Paviot, 57 rue Sainte-Anne, 75002 Paris, tél. 01 42 60 10 01. n JIM DINE, jusqu’au 14 février, à la MEP. - LA PHOTOGRAPHIE SOVIÉTIQUE, jusqu’au 14 février, Pavillon des Arts, 101 rue Rambuteau, 75001 Paris, tél. 01 42 33 82 50. - L’ENFERMEMENT, jusqu’au 17 janvier, Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00. - ÉDOUARD BOUBAT, BERNARD PLOSSU, HOCINE, WEEGEE, jusqu’au 14 février, à la MEP.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Etonnement salutaire

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