Elsa Schiaparelli, couturière inspirée

L'ŒIL

Le 1 juin 2004 - 969 mots

En se lançant dans la mode avec la bénédiction de Paul Poiret au milieu des années 1920, l’Italienne Elsa Schiaparelli défend l’image d’une femme inscrite dans son temps. L’affiche « Schiaparelli pour le sport » qu’elle placarde sur les vitrines de sa première boutique au 4 rue de la Paix, en 1928, a valeur de manifeste. À ses clientes, Schiaparelli propose des vêtements épousant la forme du corps pour la femme active. Dès l’ouverture de sa boutique, jupes, jupes-culottes, maillots de bain à une ou deux pièces, pyjamas, bérets mais aussi pull-overs remplissent les rayons. Remarqué et salué par la photographe Thérèse Bonney dans son guide destiné au shopping des Américaines à Paris, ses sweaters sont tricotés dans deux ou trois couleurs vives et contrastées, ornés de signes vestimentaires et de symboles figurés en trompe l’œil : nœud de ruban, col et cravate, tortue abstraite, squelette, tatouage de marins ou, à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, de motifs africains. Inédite, cette approche, libérée des convenances traditionnelles de l’habillement, remporte un succès international. Aux États-Unis, ses créations sont reprises et copiées très largement par les grands magasins américains. En 1932, la couturière emploie déjà quatre cents ouvrières dans l’immeuble de la rue de Paix.
Sûre d’elle-même et de son talent, elle ajoute à son répertoire la robe du soir qui la consacre au sein de la haute couture parisienne et la place au cœur de la vie mondaine de l’époque. Désormais Marie-Laure de Noailles, la maharanée d’Indore, la princesse Karam de Kapurthala, la fille de Daisy Fellowes, la duchesse de Windsor s’habillent chez elle et lui confient la confection de leurs tenues portées lors des bals qui ponctuent la vie mondaine du Paris d’alors.
Devenu le point de rencontre de la société mondaine, le salon de Schiaparelli attire aussi l’avant-garde artistique et intellectuelle qui s’encanaille dans les nuits parisiennes. Avant même de se lancer dans la mode, Elsa Schiaparelli avait tissé des liens au sein de l’avant-garde. En suivant son mari aux États-Unis en 1916, elle avait fait la connaissance de Gabrielle Picabia, l’épouse du peintre surréaliste, du photographe Man Ray pour qui elle posa, d’Edward Steichen ou encore de Marcel Duchamp. Collectionnant Brauner, Cocteau, Dalí, Matta, Giacometti, Picasso, Roy ou encore Tanguy, Schiaparelli est l’amie des écrivains René Crevel, Elsa Triolet et Louis Aragon, des artistes Salvador Dalí et Alberto Giacometti et du décorateur Jean-Michel Frank.
Ces amitiés conduiront Schiaparelli à prêter ses ciseaux de couturière aux artistes le temps d’une saison et à commercialiser leurs accessoires.
Dès 1928, les bijoux – et notamment le Collier aspirine fait de perles de porcelaine à l’imitation des comprimés que dessine Elsa Triolet –, se retrouvent sur les étals de la rue de la Paix. Alberto Giacometti, présenté probablement par Jean-Michel Frank, son décorateur attitré, donne naissance à une collection de broches en métal doré et à des boutons en forme de gorgones, de sirènes, d’oiseaux et d’anges. D’autres noms contribuent au succès de la maison de couture : Jean Cocteau qui dessine quelques modèles de robes brodées de ses dessins, l’artiste argentine Leonor Fini qui dessine le flacon en forme de modèle de tailleur du parfum Shocking, Meret Oppenheim pour des accessoires en fourrure. Le point d’orgue de cette union entre l’art et la mode revient à Salvador Dalí.
En 1936, Schiaparelli présente une série de tailleurs et de manteaux surréalistes dont les poches ressemblent à de minuscules tiroirs à poignées pendantes que l’on retrouve dans La Cité des tiroirs et Le Cabinet anthropomorphique, deux tableaux achetés par Edward James en 1934. La collection présentée au moment de l’Exposition internationale du surréalisme en 1938 montre une robe à motifs imitant des morceaux de chair animale, qui se porte avec un voile de larmes, celles-ci étant rendues par des applications de tissu qui renvoie aux spectres féminins de Printemps nécrophilique que possède la couturière. D’autres modèles, une robe imprimée d’un squelette capitonné, un chapeau-encrier et un chapeau en forme de chaussure à talon aiguille proposé en version rose Shocking ou noir, enrichiront cette collaboration. L’actrice américaine Mae West fera les frais de la création des deux artistes et verra sa bouche reprise pour dessiner vêtement et boutons. Plus tard, Dalí reprendra ce motif pour dessiner un canapé que Jean-Michel Frank proposera à sa riche clientèle.
Cultivant ce même esprit, Schiaparelli s’inspirera de tableaux de René Magritte pour donner forme à quelques modèles de chaussures dont un modèle entièrement recouvert de fourrures de singe s’inspirant directement de L’Amour désarmé peint en 1935 et qui figure des cheveux blonds débordant d’une chaussure placée devant un miroir. Elle reprendra également des thématiques chères au mouvement comme celle des mains et de son double le gant, mais aussi celle du papillon, symbole de la métamorphose, de la transformation de la laideur en beauté.
Cette interpénétration des arts donnera toute la teneur du style étrange et décalé de Schiaparelli. Comme l’expliquera Bettina Ballard, rédactrice en chef de Vogue, « une cliente de Schiaparelli n’avait pas à s’inquiéter de savoir si elle était belle, elle était typée. Où qu’elle aille, [elle] attirait les regards, cuirassée par cette forme d’élégance divertissante qui défrayait la chronique… » Arrachées des griffes de la mode pour devenir de véritables objets surréalistes, les robes de Schiaparelli feront écrire à l’écrivain Anaïs Nin qu’il s’agissait de « véritable[s] œuvre[s] d’art » et de son auteure qu’elle « était peintre et sculpteur avant d’être créatrice de mode ». Avec Schiaparelli, la mode venait de se hisser au rang des arts pour devenir un acteur essentiel de la création contemporaine.

« Elsa Schiaparelli », PARIS, musée de la Mode et du Textile, 107 rue de Rivoli Ier, tél. 01 44 55 57 50. À lire : Dilys E. Blum, Elsa Schiaparelli, musée de la Mode et du Textile, 2004, 320 p., 306 ill. 55 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Elsa Schiaparelli, couturière inspirée

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