Musée

Quai Branly

Du vaudou dans l’art

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2012 - 864 mots

Figures et rituels chamaniques ensorcellent le Quai Branly dans une mise en scène originale, où les œuvres d’art contemporain ne sont pas toujours pertinentes.

PARIS -  Les maîtres du désordre : l’oxymore est tiré d’un ouvrage publié en 1999 chez Flammarion par Bertrand Hell, Possession et chamanisme. Émerveillé par ce récit, Jean de Loisy a déniché à travers la planète, des artefacts liés à ces allers-retours dans l’au-delà. Celui qui, entre-temps, a été appelé à la présidence du Palais de Tokyo s’avoue fasciné par ces « techniciens qui bricolent pour lutter contre l’infortune, dans un monde dont ils ne ressentent pas comme nous la division extrême ».
En tubes et amas de plâtre dégoulinant, le décor est très laid. Sous un éclairage problématique, cette spirale veut illustrer un chaos dont les câbles électriques nous relieraient au sacré. Certains se croient dans les intestins de la chèvre sacrifiée, je pencherais plutôt pour cet « oiseau du tonnerre » des Sioux, « au visage sans traits, à la forme sans contours, aux serres sans pattes et aux yeux sans yeux ». Malheureusement, les organisateurs n’ont pas pensé parsemer les allées de champignons hallucinogènes propres à éveiller la conscience de chacun au surnaturel qui l’entoure. Pas non plus de poulet à tête coupée. Le rouge du reste est singulièrement absent, alors que le sang est essentiel à l’ouverture de ces cultes.
Ces icônes sont spectaculaires : c’est bien leur but, impressionner l’assistance, la convaincre d’un dialogue avec les esprits, solliciter leur protection et éloigner leur danger, éventuellement procéder à une guérison à travers ce désordre suprême qu’est la possession. Ruses et artifices ne sont pas de trop pour aider le messager à entrer dans l’extase qu’il a simulée. Des hommes en transe se retrouvent à dos de corbeau en Colombie britannique ou rampant au sol sur des tabourets taïno (ethnie amérindienne). Une impressionnante chouette anthropomorphe amérindienne, un outil de magie tanzanien, un masque hallucinant de Côte d’Ivoire évoquent la métamorphose à laquelle il faut se soumettre dans ces négociations douloureuses avec les démons. Le propos s’élargit cependant, car les beaux masques balinais par exemple ne sont pas destinés à des chamans, mais à des villageois pour une cérémonie de purification, qui voit leurs voisins entrer dans une transe collective avant de porter leur kris sur eux-mêmes. Les figures plus connues de Vishnou ou Dyonisios sont aussi mises à contribution, même si les Ménades ivres, qui démembraient les enfants pour les dévorer, auraient été les bienvenues à ce festin, plutôt accaparé par la possession que le chamanisme.

Chamanisme et art
Le catalogue est riche et les panneaux explicatifs ne manquent pas. Mais Jean de Loisy n’a pas voulu ajouter de document tourné par Jean Rouch ou photographié par Cartier Bresson pour donner une idée des cérémonies correspondantes. Au contraire, il a préféré isoler l’idole sauvage, sans doute désireux de fonder un parallèle avec le geste artistique. Car, convaincu que « les artistes poursuivent les mêmes questions immémoriales », il a souhaité ajouter un chapitre à cette histoire multimillénaire en donnant la parole à l’art contemporain, cherchant des échos dans le constat des malheurs du monde assemblé par Thomas Hirschhorn ou les poupées d’Annette Messager. Malheureusement, tous ces artistes ne sont pas capables de la subtilité que peuvent déployer les chamans dans leur « théâtre vécu ». Certains ne reviennent pas de leur voyage, comme Chloé Piene, dont le pathos ferait honte au sorcier le plus maladroit. D’autres rapprochements mériteraient d’être étayés. On est très heureux de voir un Arlequin de Picasso, mais la rhétorique de l’artiste comme saltimbanque rebelle suffit-elle à justifier le parallèle avec les magiciens guérisseurs des confréries africaines ou brésiliennes ?
Dans sa nombreuse progéniture, le désordre risque toujours de compter un brin de confusion. Bertrand Hell, conseiller scientifique de l’exposition, a repris ce concept de l’ethnologue et sociologue Georges Balandier, qui, il y a trente ans, avait dressé un éloge de ce « désordre » sans lequel le monde serait « un astre froid ». Mais il répondait à des mobiles plus philosophiques qu’anthropologiques, combinés à sa critique du pouvoir. Empruntée à la physique, la notion d’entropie permettait de s’opposer au structuralisme de Lévi-Strauss alors en vogue. La grande spécialiste de la Sibérie, pays qui a donné naissance au chaman, Roberte Hamayon, juge ainsi la notion de « maîtrise du désordre » inappropriée pour parler de la fonction chamanique, et plutôt caractéristique des cultes de possession. Marie-Claude Dupré, experte de l’Afrique centrale, reproche à Bertand Hell d’assigner au désordre un « statut quasi ontologique de nécessité », trahissant le recours à des notions duelles héritées du christianisme.
Partant de son expérience auprès des Gnawa du Maroc, ayant cherché des parallèles à travers le monde, cet auteur n’évite pas toujours le risque de la généralisation. Il s’est concentré sur les rituels sans s’attarder sur l’insertion des sociétés secrètes dans la sphère sociale, culturelle et religieuse. Néanmoins, il s’illustre par un talent de conteur, dont les charmes se retrouvent dans ces sortilèges et talismans des explorateurs de l’invisible.

Les maîtres du désordre

- Commissariat : Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, assisté de Sandra Adam-Couralet et Nanette Jacomijn Snoep

- Scénographie : Jakob MacFarlane

Les maîtres du désordre, jusqu’au 29 juillet, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi, 11h-19h, jeudi, vendredi, samedi, 11h-21h. Catalogue, coéd. Musée du quai Branly/RMN, 456 p., 50 euros, ISBN 978-2-35744-056-2

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Du vaudou dans l’art

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