Art contemporain

Frisson

Du sublime au discours écologique

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 750 mots

Le Centre Pompidou-Metz se risque à inscrire l’appréhension du sujet environnemental par certains artistes contemporains dans le sillage de l’esthétique XVIIIe du sublime.

METZ - Catégorie esthétique du XVIIIe, le sublime reste difficile à cerner. Défini pour la première fois par le philosophe anglais Edmund Burke, il s’oppose presque au Beau idéal, notion qui a depuis toujours dominé l’esthétique. Ainsi, quand le beau aspire à l’harmonie, à l’équilibre, le sublime cherche à procurer des sensations troublantes, à faire goûter l’effroi, à produire le « frisson délicieux ». Pour autant, le sublime ne procède pas de simples thèmes tels que les ruines, la tempête, le désert, la montagne, avec lesquels il a semblé entretenir des liens privilégiés. Si son sens précis échappe, c’est qu’il se situe avant tout dans le rapport émotionnel qu’il établit entre le spectateur et la représentation. Ce sont les romantiques qui privilégient la nature sauvage, où la présence de l’homme n’est là que pour donner la mesure de son écrasement par une puissance infiniment plus grande. Fascinés par les forces de destruction et de dissolution, ils libèrent les éléments – tourbillons de vagues, pluie, air ou nuées – qui avalent ou ravagent les formes.

Le bouillonnant spectacle de la nature
Pour autant, les artistes n’ont pas attendu la théorie du sublime pour mettre en scène des visions d’une nature qui échappe à l’idée consacrée du beau ou du pittoresque. À Metz, trois petits tableaux de Léonard de Vinci, des « Déluges », illustrent ce sentiment (Déluge, 1517-1518). En toute logique, la manifestation débute avec les exemples canoniques du concept. On trouve ainsi une œuvre de Turner qui met en scène des effets atmosphériques dynamiques, rendus par des taches de couleurs contrastées et des lignes discontinues, résumant toute la violence d’une vision chaotique de la nature. Ailleurs, c’est une nature bouillonnante et en éruption, en liaison avec la vogue des représentations de volcans et des explosions de magma, véritables spectacles pyrotechniques qui « vous font entrer en vous-même et vous écrasent de votre petitesse » (Alexis de Tocqueville, 1827). Fascination qui dure : une splendide vidéo figure la « porte de l’enfer », une énorme doline dans le désert de Turkménie, d’où montent des flammes dues au méthane qui s’échappe et s’embrase depuis quarante ans (Darvaza, Adrien Missika, 2011).

Puis, le parcours s’arrête progressivement sur des œuvres contemporaines, prend plus de liberté avec la notion de sublime pour se diriger, selon les commissaires, sur « l’histoire passionnelle et passionnée que l’humanité entretient avec la nature ». Déplacement risqué, car l’impression qu’il s’agit davantage d’une réflexion sur l’écologie ou le land art gagne parfois. C’est le cas avec les sections qui traitent l’érosion ou l’entropie, ces mouvements lents qui introduisent des changements imperceptibles dans l’environnement, à la différence du sublime qui se place du côté de la fulgurance ou d’un effet dramatique d’ensemble. Ainsi, les « Earthworks » de Robert Smithson présentés ici, malgré leur qualité, semblent trop éloignés de la problématique de l’exposition. Il en va autrement pour Michael Heizer et son projet démiurgique, « Complex City », une énorme construction en béton au milieu du désert de Nevada. Avec cette version moderne de la pyramide, l’artiste américain, qui cherche à « créer une œuvre d’art transcendante », réalise le sublime artificiel, un monument absurde face à la nature. L’œuvre de Heizer, censée résister même à une déflagration nucléaire, a sa place à Metz entre le chapitre « Imaginaires de la catastrophe » et celui de « La tragédie du paysage. » Dans les deux cas, il s’agit de représentations de désastres liés à l’indifférence de l’homme vis-à-vis de l’environnement, mais qui paradoxalement aboutissent à des images de « sublime négatif » (Peter Goin, Sedan Crater, série « Nuclear Landscapes », 1985-1991). On songe d’ailleurs au 11 septembre, curieusement absent de l’exposition, et à la réaction « émerveillée » de Stockhausen, qui a soulevé tant d’indignation.

Pour clore sur une note plus positive sinon optimiste, la section « Réenchantement » (qui paraphrase le « désenchantement du monde » de Max Weber) propose différentes manières de se réconcilier avec la nature. Entre les alternatives futuristes de Buckminster Fuller (Dome over Manhattan, 1960) ou le land art de proximité, voire l’osmose avec la terre d’Ana Mendieta (Birth, 1981), il s’agit ici  de « réinventer le sublime ». Dans ce cas, ne s’agirait-il pas plutôt d’évoquer une nouvelle façon de poétiser les rapports entre l’homme et l’univers ?

SUBLIME

Commissaires : Hélène Guenon
Nombre d’artistes : une centaine pour 300 œuvres

SUBLIME. LES TREMBLEMENTS DU MONDE

Jusqu’au 5 septembre, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits de l’homme, 57020 Metz, tél. 03 87 15 39 39, centrepompidou-metz.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 12 €, cat 274 p., 39 €.

Légende photo
Robert Smithson, Asphalt Rundown, Rome, Italy (Déversement d'asphalte, Rome, Italie), 1969, tirage à jet d'encre sur papier chiffon d'archive, reproduit d'après les diapositves originales au format 126, 44,4 x 44,4 cm,”¨The Holt-Smithson Foundation, New York. © Holt-Smithson Foundation/Photo courtesy James Cohan Gallery, New York/Shangai.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Du sublime au discours écologique

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