Art ancien

Du caravagisme au baroque, ombres et lumières napolitaines

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 666 mots

Après « Les Cieux en gloire », exposition consacrée aux grands décors de la Rome baroque, le musée Fesch poursuit son exploration de la peinture italienne, point fort de ses collections permanentes. 

Conçue par Nicolà Spinosa, commissaire, et Jean-Marc Olivesi, conservateur en chef, cette exposition se penche sur la peinture napolitaine des XVIIe et XVIIIe siècles, en privilégiant les thèmes religieux. Les natures mortes et les scènes de batailles ont été volontairement écartées de la sélection : très nombreuses dans la collection du cardinal Fesch, elles pourraient faire l’objet, à elles seules, d’un prochain accrochage.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, Naples est la plus grande ville d’Europe après Paris, un port très actif et un foyer artistique considérable. Avec une histoire jalonnée de contradictions et de périodes sombres : aristocratie richissime vivant dans de somptueux palais alors qu’une partie de la population est dans la misère, éruption du Vésuve (1631), répression suite à la révolte de Masaniello (1647), épidémie de peste ravageuse en 1656 (250 000 morts)… La peinture napolitaine des XVIIe et XVIIIe siècles se nourrit de ce mélange de faste et de drame, et se définit à la croisée de multiples influences. En premier lieu, celle du Caravage, évidente dans l’art de Caracciolo, Vitale ou Sellitto, peintres qui allient le naturalisme de scènes populaires à la maîtrise du clair-obscur. La première salle s’attache aux années 1610-1620, avec la Sainte Cécile de Carlo Sellitto au clair-obscur caravagesque, mais à la composition encore très maniériste. Battistello Caracciolo peint Saint Joseph avec l’enfant Jésus dans des contrastes doux, la scène est tendre, le geste protecteur, les deux personnages se détachant sur un fond sombre et sans décor. Le Sacrifice d’Isaac de Filippo Vitale est, en revanche, d’une grande intensité dramatique. Le visage de l’ange est plongé dans la pénombre pour mettre l’accent sur l’expression d’Abraham, en pleine lumière.

La seconde partie de l’exposition présente des peintres qui produisent, entre 1635 et 1656, des toiles colorées et lumineuses, s’éloignant peu à peu du caravagisme, davantage influencées par l’école vénitienne (Véronèse) ou bolonaise (Carrache). C’est notamment le cas de Massimo Stanzione dont la Sainte Catherine d’Alexandrie est caractéristique d’un art qui se cherche, entre les peintres de Bologne et le caravagisme. C’est aussi celui de Francesco Pacecco de Rosa (Le Jugement de Pâris) et de Francesco Fracanzano (superbe Tête d’apôtre, influencée par Ribera pour le réalisme du visage, les yeux tournés vers le ciel). Cette section, sorte de respiration entre deux salles très denses à la peinture sombre et tendue, met également en regard deux portraits aux couleurs subtiles de Guarino, Sainte Apollonie et Sainte Barbara. Consacrée aux années 1655-1660, la troisième partie du parcours montre l’avènement du baroque napolitain, à travers les œuvres de Luca Giordano et Mattia Preti (Étude pour la peste de 1656 et Sainte Véronique, attribuée à son atelier, sortie des réserves pour l’exposition). L’exposition confronte deux tableaux représentant le martyre de saint Sébastien, l’un de Jusepe de Ribera, l’autre de Giordano, construits de la même manière. Mais, là où le premier réalise une véritable étude anatomique, à la lumière douce malgré la violence inhérente au sujet, le second offre une interprétation théâtralisée par le mouvement saisissant du corps et les yeux révulsés, usant de la couleur avec parcimonie, un peu de rouge dans les yeux, de rose sur le torse, de bleu nuit pour le drapé. La peinture de Francesco Solimena apporte un contrepoint aux visions sombres et torturées de Giordano, par l’utilisation d’une lumière vive et de rouges flamboyants.

Le Départ de Rébecca est un tableau remarquablement composé, tous les gestes et les regards convergent vers la jeune femme, au centre, qui dit adieu à son père avant de rejoindre son futur époux Isaac. Solimena est le meilleur représentant du passage d’un siècle à l’autre, du naturalisme dramatisé des caravagesques au triomphe de la couleur.

« Les Mystères de Naples », AJACCIO (20), musée Fesch, 50-52 rue cardinal Fesch, tél. 04 95 21 48 17, 30 avril-30 septembre, cat. 256 p., 35 euros.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Du caravagisme au baroque, ombres et lumières napolitaines

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