D’Ingres à Chagall

Rive droite, côté St-Honoré, la galerie Schmit

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 13 mars 1998 - 977 mots

Fondée en 1929, la galerie Schmit s’est d’abord spécialisée dans les tableaux de maîtres anciens avant de se réorienter, après la guerre, vers la peinture moderne et les artistes des XIXe et XXe siècles, d’Ingres à Chagall et Picasso. Plus d’une centaine d’œuvres de Renoir, Matisse, Vlaminck, Van Dongen et bien d’autres sont ici présentes.

Passé la lourde porte en fer forgé, les bruits de la circulation et la lumière froide d’un matin d’hiver cèdent la place à un univers ouaté, baigné d’une lumière électrique diffuse. Là, isolés de la rue par quelques tentures sombres, reposent quelques toiles de grands maîtres. Un Van Dongen fauve accroche d’emblée le regard. La belle Fatima esquisse une danse du ventre, offrant au regard sa plastique généreuse. Son buste nu, d’un vert pomme agressif, contraste avec le rose bonbon de la jupe et du voile de mousseline qu’elle agite gracieusement. La visite se poursuit, de salle en salle, l’œil passant d’un De Staël aux tonalités froides à un Cassatt émouvant. Robert Schmit, patron des lieux, poursuit le tour du propriétaire en exhibant une de ses toiles préférées : une huile sur toile d’Honoré Daumier exécutée vers 1862-1865. “L’ancienne Comédie française est une œuvre rarissime qui a été commandée à Daumier par un collectionneur, explique notre guide. C’est un Daumier unique, il n’y en a pas d’autre. Il est d’autant plus intéressant que c’est un artiste qui a assez peu produit. Daumier n’a peint qu’environ 300 tableaux.” On quitte Daumier pour un beau Monet aux dominantes bleu-vert où ciel et mer se fondent. La plage de Sainte-Adresse provient de la fameuse collection irlandaise Chester Beatty, qui a peut-être été la plus célèbre collection européenne constituée par une personne privée. Le tableau, exécuté vers 1867, est merveilleux de puissance et riche de coloris.

Avec Jetée de fleurs dans un intérieur, un Matisse de 1925, on abandonne le grand air pour un appartement bourgeois. “C’est un tableau d’une légèreté remarquable, doté de superbes coloris. Il appartenait à la collection Bernheim, qui étaient les marchands de Matisse à cette époque.” Un jaillissement de fleurs des champs vient réveiller le tranquille ordonnancement d’un salon, où l’on aperçoit les panneaux gris-blanc d’une double porte battante et les lourds rideaux jaunes retenus par une embrase.

Scène d’intérieur toujours avec ce tableau représentant Madame Bonnard et son chien Pouce. Ce tableau plein de charme représente Marthe de Méligny – devenue l’épouse de l’artiste en 1925, date à laquelle cette toile a été peinte – tenant son chien dans les bras. Place au Cubisme avec Mandoline et verre, peint par Braque en 1911. Cette œuvre d’une harmonie chantante, extrêmement bien traitée, provient de la galerie Kahnweiler, qui fut le marchand du peintre.

Les points forts d’une carrière
Évoquant quelques tableaux modernes exceptionnels qui ont contribué à forger la réputation de sa galerie, Robert Schmit se souvient d’une toile de Van Gogh appartenant à la série des Tournesols. “Cette œuvre de 1888 provenait de la collection du couturier Jacques Doucet, une collection française de très bon goût débutée vers 1910. Nous avons possédé également quelques superbes Cézanne ainsi qu’un Fantin-Latour, Nature morte aux fleurs et fruits, provenant de la fameuse collection Gulbenkian qui avait acquis ces tableaux dans les années vingt. Sa collection était merveilleuse d’équilibre et de qualité .” C’est une œuvre faite de contrastes de formes et de couleurs. Quelques pommes et poires aux nuances jaunes et verts pâles reposent dans une corbeille en rotin voisinant avec quelques fruits et un couteau, endormis à même le bois d’un buffet. En arrière-plan, des branches de lilas mauves et blancs jaillissent d’un vase de couleur noire. Le tableau de ce peintre intimiste, d’atelier plus que d’extérieur, est aujourd’hui au Metropolitan Museum of Art, à New York. Quelques autres grands tableaux estampillés Schmit font aujourd’hui le bonheur des visiteurs de musées. C’est le cas de Trois trompettes à cheval, une œuvre de Géricault acquise par la National Gallery of Art, à Washington. Le Musée d’Orsay, lui, a acheté un Vallotton et un Seurat. Un superbe Cézanne, Paysage en Provence, exécuté aux environs de 1882-1886, peut aujourd’hui être admiré au Boston Museum of Fine Arts. Une petite maison aux murs ocres et au toit orangé se détache sur un ciel bleu pâle, au fond d’un tableau dont le premier plan est occupé par des pins ; une œuvre qui aurait sans nul doute fait le bonheur des conservateurs d’Orsay.

“Nous avons possédé aussi quelques très beaux Matisse des années vingt et vingt-cinq, des portraits et des natures mortes, ainsi que plusieurs Monet très rares représentant des bords de mer et quelques Nymphéas. Nous avons vendu également de très beaux tableaux de l’époque fauve, de Derain et Vlaminck notamment. Il m’a fallu parfois jusqu’à plusieurs dizaines d’années pour acquérir certaines œuvres. Une toile de Courbet par exemple, La Pauvresse du village, une œuvre extraordinaire, l’un des plus beaux tableaux qu’il ait peints. Je l’ai découvert aux États-Unis au début des années cinquante, mais je ne l’ai achetée qu’en 1995.” Dans l’esprit des collectionneurs, la galerie Schmit est souvent associée aux œuvres de Boudin, dont elle a vendu environ 800 toiles sur un total de 4 500. Peintre de plein air, Boudin aimait avant tout la mer et les ciels nuageux, les scènes de plage et les vues de port. C’est lui qui a invité le jeune Monet à aller planter son chevalet en pleine nature. “Le plus grand plaisir d’un marchand serait de garder les trois ou quatre tableaux exceptionnels qui lui sont passés entre les mains. Mais c’est un métier qui demande énormément d’argent, et on est toujours obligé de vendre en vue d’acheter de nouvelles œuvres. Le moment le plus excitant est bien sûr la quête d’un tableau, puis son acquisition.”

Galerie Schmit, 396 rue Saint-Honoré, 75001 Paris, tél. 01 42 60 36 36, ouvert du lundi au vendredi 10h-12h30 et 14h-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : D’Ingres à Chagall

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