Des nouvelles du monde flottant

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 16 décembre 2008 - 374 mots

À épisodes réguliers, la BnF distille les trésors de son exceptionnel fonds d’estampes japonaises.

Tout entier consacré à l’art de l’ukiyo-e – images du « monde flottant » –, ce nouvel opus joue une partition vertueuse et didactique, mais frappe spectaculaire pour déployer un aperçu étourdissant de cette esthétique raffinée du plaisir.
Courtisanes alanguies, beautés pâles et silhouettes cambrées, portraits d’acteurs, danseuses de théâtre kabuki, ou sumotori à longs tabliers de soie, l’ensemble témoigne d’abord de l’invention d’une culture qui s’épanouit dans le Japon du XVIIe au XIXe siècle : celle que la nouvelle bourgeoisie marchande élabore à l’ère d’Edo. Puisque la noblesse l’écarte des ors et traditions de la culture, elle s’en fabriquera une, d’abord strictement publicitaire dans l’exercice du commerce, puis véhicule promotionnel d’une culture profane et viscéralement contemporaine. Et quoi de plus opérant que les grands tirages permis par la gravure sur bois ? L’aristocratie est toute auréolée de sacré et d’immuable ? On y répond par l’éphémère et le séculier, en déclinant vie quotidienne, amour courtois, scènes nocturnes enveloppées de parfums de prunier, scènes audacieuses de maisons vertes, nouveaux héros, nouveaux loisirs.
Moronobu, Harunobu, Kiyonaga, Koryûsai, Utamaro, ce sont les artistes qui assureront l’autonomie de ce qui devient rapidement un art, avec ses codes techniques, ses écoles, ses sujets récurrents, son apogée et son déclin.
Le parcours embrasse les premières et puissantes gravures monochromes, robustes alternances sur fonds neutres de pleins et déliés issus de la calligraphie, jusqu’aux feux somptueux du XVIIIe siècle, jusqu’aux « images de brocart » et à l’introduction polychrome de dégradés brumeux, d’effets de soie, d’animations légères de poudres d’or et d’argent, de fonds micacés ou marbrés dynamisant les compositions avec un raffinement inouï. À l’image des détails sublimés dans les quelques bijoux d’Utumaro (1753-1806) exposés à la BnF : longs cous de cygnes, noirs profonds, roses pâles, gris et ivoires délicats, tracés voluptueux, gaufrages sophistiqués et arabesques graciles, l’artiste exploite toutes les possibilités de la gravure, celles-là même qu’Edmond Goncourt avait si justement relevés dans l’essai qu’il lui consacra en pleine vogue japonisante en 1891.

A voir

« Estampes japonaises, images d’un monde éphémère », Bibliothèque nationale de France, Galerie Mazarine et crypte du site Richelieu, 58, rue Richelieu, Paris IIe, www.bnf.fr, jusqu’au 15 février 2009.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°609 du 1 janvier 2009, avec le titre suivant : Des nouvelles du monde flottant

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