Derniers feux à Dulwich

Les visions intérieures de Pieter de Hooch

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 740 mots

À quatre mois des travaux d’extension qui l’obligeront à fermer ses portes jusqu’en mai 2000, la Dulwich Picture Gallery consacre, pour la toute première fois, une exposition monographique à Pieter de Hooch (1629-1684). À travers une quarantaine de tableaux et à la lumière des recherches récentes, cette rétrospective explore les innovations apportées par ce contemporain de Vermeer aux scènes de genre et aux paysages urbains hollandais.

LONDRES - Un peu plus de trois cents ans après sa mort, et à la suite de Vermeer et Jan Steen, Pieter de Hooch se voit consacrer sa première rétrospective. Un hommage tardif, mais compensé par le soutien officiel de Cherie Blair et de Hillary Clinton : après sa présentation dans la plus ancienne galerie publique d’Angleterre (1811), l’exposition rejoindra en décembre le tout aussi vénérable Wadsworth Atheneum (1842), à Hartford, dans le Connecticut.

Parmi les 41 tableaux réunis, certains, provenant de collections privées, n’avaient jamais été montrés au public, tel Un Soldat payant son hôtesse, daté de 1658. Deux peintures mises en vente chez Christie’s, le 4 juillet 1997, ornent également les cimaises. Le Portrait de la famille Jacott-Hoppesack, vers 1670, estimé entre 250 000 et 350 000 livres sterling (2,5 à 3,5 millions de francs) n’avait pas trouvé preneur ; il a été acquis ensuite par le marchand londonien Johnny van Haeften, qui l’a vendu à l’Historisch Museum d’Amsterdam. Un Homme lisant une lettre à une femme (v. 1670-1674) a été acheté 716 500 livres par la Noortman Gallery de Maastricht.

Cet ensemble, qui représente un quart de l’œuvre connu de Hooch, permet d’évoquer sa carrière, depuis les tumultueuses scènes de taverne et de salle de garde de ses débuts à Rotterdam jusqu’à ses premières créations amstellodamoises, où l’ostentation et une certaine emphase prennent le pas. Le parcours se clôt sur Concert dans une cour (1677, National Gallery, Londres), et exclut volontairement les œuvres tardives dont la dégénérescence doit être reliée au sort du peintre, mort en 1684 dans un asile d’aliénés.

L’Âge d’or delftois
La période la mieux illustrée reste le séjour delftois, entre 1652 et 1660, qui correspond à l’apogée de l’art de Hooch et à l’Âge d’or de l’École de Delft, autour des figures de Vermeer, Carel Fabritius et Emmanuel de Witte. Les phénomènes d’influences et d’échanges entre ces diverses personnalités, longuement abordés dans le catalogue, sont repris dans la présentation muséographique, qui met en lumière le rôle de Pieter de Hooch dans certaines innovations plastiques et thématiques.

Le traitement naturaliste de l’espace par de Witte et Houckgeest, spécialisés dans les intérieurs d’église, a sans doute servi de base au peintre pour infléchir le traitement traditionnel de la scène de genre, jusqu’alors cadrée serrée sur des personnages gesticulants et située dans un lieu relativement indéterminé. À Delft, de Hooch laisse plus de place à l’espace, qu’il décrit avec une précision non dénuée d’invention – ses paysages urbains proposent un assemblage plus vraisemblable qu’exact – et qu’il unifie grâce à une palette nuancée.

Les jeux de superposition entre le dedans et le dehors, la mise en situation des personnages dans leurs intérieurs privés confèrent une véritable dimension psychologique à ses meilleurs tableaux. Certains, comme Une Femme buvant en compagnie de deux hommes et d’une servante dans un intérieur (v. 1658, National Gallery, Londres), La Visite (1657, Metropolitan Museum of Art, New York) ou encore Cour de maison à Delft (1658, National Gallery, Londres), évoquent irrésistiblement Vermeer. Pour Peter Sutton, commissaire de l’exposition et directeur du Wadsworth Atheneum, l’exemple de Pieter de Hooch aurait contribué, vers la fin des années 1650, à éloigner le grand peintre “des larges compositions bibliques ou mythologiques, au profit de petits formats montrant des scènes de genre et des paysages urbains”.

Les relations exactes entre les deux artistes restent néanmoins inconnues. On sait seulement que leurs méthodes pour tracer les perspectives étaient très proches et, surtout, on retrouve chez eux la même disparition du récit au bénéfice d’un dialogue entre les personnages et leur environnement, qui invite au déchiffrement. Mais avec sa facture au fini très soigné et son exaltation des vertus domestiques, Pieter de Hooch n’atteint jamais le mystère de son illustre contemporain. Son départ pour Amsterdam, vers 1661, signe, à terme, la fin de cette approche intimiste.

PIETER DE HOOCH

3 septembre-15 novembre, Dulwich Picture Gallery, College Road, Londres, tél. 44 181 693 5254, tlj sauf lundi 10h-17h, samedi et lundis fériés 11h-17h, dimanche 14h-17h. Catalogue en anglais par Peter Sutton, 15 £ (environ 150 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Derniers feux à Dulwich

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque