Histoire du goût

Démêler le vrai du faux

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2012 - 686 mots

En étudiant les primitifs italiens, le palais Fesch interpelle
le visiteur sur les notions d’original, de copie et de falsification.

AJACCIO - Il ne reste plus que quelques jours pour aller voir l’exposition que le palais Fesch, à Ajaccio, consacre à la notion de faux dans l’art en passant au crible des œuvres rattachées aux « primitifs italiens ». À la fois érudit et accessible, le parcours retrace l’histoire du goût pour ces peintres des XIIIe, XIVe et XVe siècles qui ont été éclipsés par les maîtres de la Renaissance avant d’être redécouverts à la fin du XVIIIe siècle. Ceux-ci connaissent alors un tel engouement qu’au cours du XIXe siècle les faux prolifèrent, tandis que les originaux sont parfois modifiés, transformés, découpés, pour satisfaire les appétences du marché.

Des « originaux multiples »

La commissaire de l’exposition, Esther Mœnch, conservatrice du patrimoine, a travaillé de concert avec Michel Laclotte, ancien directeur du Musée du Louvre, qui est à l’initiative d’un inventaire en cours des peintures italiennes dans les collections publiques françaises, le « RETIF », lancé en 2001 par l’Institut national d’histoire de l’art.

Véritable réflexion sur la notion de chef-d’œuvre, la démonstration souligne aussi le goût précoce pour les primitifs italiens du cardinal Fesch et des premiers collectionneurs qui les réhabilitèrent. En témoignent les œuvres présentées en introduction, de « vrais » primitifs, tel le Saint évêque (ou saint Pierre) de Bernardo Daddi (actif vers 1280-1348) issu de la collection du cardinal Fesch, ou La Bataille d’Issos et la famille de Darius devant Alexandre de Lo Scheggia (1406-1486), provenant de la collection Artaud de Montor. Leur succèdent deux Vierge à l’Enfant de Lorenzo di Credi, dont il existe par ailleurs un nombre important de versions. Ces œuvres illustrent la pratique, classique, de reproduction de l’œuvre autographe en atelier, par le peintre lui-même ou ses disciples, ce que Michel Laclotte définit comme des « originaux multiples ». Les choses se compliquent dans la section suivante, qui aborde les « vrais tableaux » agrémentés de fausses signatures : des œuvres issues de l’atelier ou de suiveurs de l’artiste dont il sera affirmé qu’elles sont des originaux pour leur donner plus de valeur. Ainsi de cette Vierge et l’Enfant entre deux anges signée « Tommaso ». À ne pas confondre avec le « modèle répété », c’est-à-dire la peinture à succès reprise par des générations successives, comme ce fut le cas pour L’Annonciation de l’église de l’Annunziata à Florence. Le « cabinet de gothicités » ici constitué atteste l’admiration suscitée par les primitifs italiens, dont les œuvres ont pu être détournées ou agrémentées d’éléments insolites. Les polyptyques démembrés, tel le retable de la chapelle du collège des Jésuites de Lyon, ont pu aussi subir des remontages farfelus. Dans cet ensemble hétéroclite, Michel Laclotte a reconnu, au centre de la partie inférieure, une œuvre de Simone dei Crocifissi, actif à Bologne dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Les deux religieuses de la partie supérieure ont été rattachées au milieu dévotionnel ombrien de la seconde moitié du XVe siècle, tandis que La Vierge et l’Enfant avec deux anges, issue d’une composition plus importante, est attribuée par certains historiens à Michelangelo di Pietro. Conçus par des faussaires pour répondre à la demande du marché, les faux primitifs exposés sont le plus souvent réalisés à partir d’un original copié, à l’exemple de cette Entrée du Christ à Jérusalem (vers 1930-1935) inspirée de compositions de Pietro Lorenzetti. Ces « vrais faux » ne sont pas toujours évidents à reconnaître. « Dans bien des cas, on se demande parfois comment des spécialistes sérieux ou des conservateurs de musée ont pu se laisser duper, soulignent dans le catalogue Michel Laclotte et Esther Mœnch. Cela reste pour tous une leçon de prudence et de modestie. Le regard du laboratoire ne devrait-il pas toujours croiser l’œil du connaisseur ? »

VRAI ? FAUX ? LE PRIMITIF ITALIEN ÉTAIT PRESQUE PARFAIT

Jusqu’au 1er octobre, Palais Fesch, Musée des beaux-arts, 50, rue Fesch, 20 000 Ajaccio, tél. 04 95 26 26 26, tlj sauf mardi, lun.-mer.-sam. 10h30-18h, jeu.-vend.-dim. 12h-18h (jusqu’à 17h le 1er oct.). Catalogue, 372 p., 32 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : Démêler le vrai du faux

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