Altérités

À contre-courant

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 février 2009 - 719 mots

PARIS

La Cité nationale de l’histoire de l’immigration décrypte les représentations de « l’étranger » en France et en Allemagne, hier et aujourd’hui.

PARIS - Quelle image de « l’étranger » se font la France et l’Allemagne, les deux pays d’immigration les plus importants d’Europe ? Quelles représentations ces nations ont pu donner de « l’autre » par le passé ? Quel impact cela a-t-il eu dans l’élaboration de leur identité nationale ? Pour tenter de répondre à ces questions, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris, s’est associée au Deutsches Historisches Museum de Berlin. Les deux institutions ont élaboré deux discours parallèles qui se rencontrent, se font écho et s’enrichissent l’un l’autre. « L’histoire des migrations s’écrit à l’échelle du monde. Pour comprendre les enjeux des constructions identitaires et des représentations de l’étranger, il faut comparer, sortir des frontières, aller interroger d’autres trajectoires migratoires », précisent ainsi les commissaires. La chronologie démarre en 1871 – date des débuts de la IIIe République française et moment de l’unification du Reich naissant – puis remonte le fil de l’histoire pour arriver aux années 2000 et aux débats actuels sur l’immigration. Les photographies, documents audiovisuels, articles de presse, affiches et caricatures, chansons, cartes postales, œuvres contemporaines rassemblés offrent diverses images, souvent stéréotypées, de « l’autre », cet inconnu. Mais quel(s) autre(s) ?

Un double parcours judicieux
Des hommes, femmes et enfants de nationalités étrangères, mais aussi ceux qui proviennent d’anciens pays colonisés, des Juifs, Musulmans ou Bouddhistes, les Roms, les « Harkis » ou les populations originaires des DOM-TOM. Si la scénographie peine à faire oublier les espaces difficiles de l’ancien Palais des colonies, elle a su créer un double parcours judicieux qui parfois se confond pour ne faire qu’un. C’est le cas lorsque la Grande Guerre éclate. Apparaît alors l’image dominante du « Boche » en France, tandis que l’Allemagne focalise sur les nombreux « ennemis » de l’Empire. Les années 1920 et 1930 sont marquées par la montée de la xénophobie et de l’antisémitisme, dont témoignent les affiches de propagandes ou les discours ici retranscrits. « Une étude des représentations fait la part belle aux fantasmes, exagérations, distorsions, dérèglements de la réalité souvent tributaires des contextes diplomatiques, politiques ou économiques », expliquent les commissaires Marianne Amar, Laurent Dornel et Yvan Gastaut. Le rejet de la population arabe, parquée dans des bidonvilles et exploitée sur les chantiers dans les années 1960 en France, la montée du Front national et le succès de l’association SOS racisme à partir des années 1980 ; la xénophobie grandissante en Allemagne et le durcissement des mesures pour obtenir l’asile après la chute du Mur sont autant de sujets abordés et de pistes à explorer pour les historiens. Il y a un peu plus d’un an, lors de son ouverture, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration l’avait promis : il n’y aura pas de sujets tabous, même si les thèmes abordés vont à contre-courant de la politique gouvernementale. Ainsi du scandale, en mars 1996, des Sans papiers
africains réfugiés dans l’Église Saint Bernard, à Paris, expulsés manu militari par les CRS, ici évoqué par des photographies qui rappellent à la mémoire ce douloureux épisode largement couvert par les médias. À l’heure où le jeune et controversé ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale fait le compte de ses expulsions, le Palais de la Porte Dorée rappelle combien l’image de l’autre se nourrit de craintes infondées, tout en incitant à la réflexion et à une certaine prise de conscience collective.

À CHACUN SES ÉTRANGERS ?
Commissariat : Ulrike Kremeier, professeur et historienne de l’art, directrice du Centre d’art La Passerelle à Brest ; Marianne Amar, historienne ; Laurent Dornel, maître de conférences à l’Université de Pau ; Yvan Gastaut, historien ; Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS ; Rosmarie Beier-de Haan ; Carola Jüllig ; Jan Werquet pour le Deutsches Historisches Museum de Berlin
Nombre de pièces : 300

À CHACUN SES ÉTRANGERS ? FRANCE – ALLEMAGNE DE 1871 À AUJOURD’HUI, jusqu’au 19 avril, Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 53 59 58 60, www.histoire-immigration.fr, tlj sauf lundi, 10h-17h30 et 19h le week-end. L’exposition sera présentée au Deutsches Historisches Museum, à Berlin, du 28 août 2009 au 3 janvier 2010.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : À contre-courant

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