Danse & Théâtre

COSTUMES DE THÉÂTRE

Chez Molière, le costume fait le personnage

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 septembre 2022 - 909 mots

MOULINS

Pour célébrer les 400 ans de la naissance de Molière, le Centre national du costume de scène expose ceux des personnages imaginés par le dramaturge, dans un parcours qui oscille entre scénographie théâtrale et muséale.

Elmire (Nicole Calfan) et Tartuffe (Michel Fau) pour Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Michel Fau, costumes de Christian Lacroix, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 2017. © Laurencine Lot
Elmire (Nicole Calfan) et Tartuffe (Michel Fau) pour Le Tartuffe de Molière, mise en scène de Michel Fau, costumes de Christian Lacroix, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 2017.
© Photo Laurencine Lot

Moulins. Harpagon, collerette blanche surplombant un costume noir, Argan, alité en robe de chambre, ou Scapin, silhouette facétieuse venue de la commedia dell’arte : l’héritage de Molière (1622-1673) dans notre imaginaire collectif n’est pas fait que de mots, mais aussi d’images. À l’occasion de l’année Molière, le Centre national du costume de scène (CNCS), situé à Moulins, montre ces archétypes enrichis par quatre siècles de représentations. C’est en puisant dans son fonds de costumes, mais aussi en bénéficiant de prêts de la Bibliothèque nationale de France, du Théâtre national populaire de Villeurbanne ou de la Comédie Française que l’institution moulinoise illustre en une dizaine de thématiques le legs visuel du dramaturge, et des centaines de metteurs en scène, scénographes, costumiers ou acteurs à sa suite.

À chaque personnage son costume

Les mots ouvrent le parcours par un travail graphique livrant une interprétation des frontispices des œuvres littéraires de Molière. Puis, c’est dans la pénombre d’une salle de théâtre que le visiteur est invité à pénétrer, mise en scène par une scénographe de spectacle vivant, la marque de fabrique du CNCS. Philippine Ordinaire – qui a récemment signé les décors de Don Giovanni à l’Opéra de Saint-Étienne, et qui avait déjà travaillé sur la scénographie de l’exposition « Comédies musicales » au CNCS – rend hommage à l’esprit de troupe en élevant des scènes simples et épurées, qui surplombent le visiteur, et sur lesquelles sont réunis une dizaine de costumes assemblés de manière anachronique, par thématiques. Le dispositif général permet, depuis un strapontin, d’embrasser du regard les costumes et de reconnaître les personnages, tout en mettant en avant certains détails de ces créations. Malades et médecins charlatans, pères autoritaires et filles déterminées, dévots, savants ou jaloux forment les figures connues du parcours.

L’aspect diachronique de la scénographie peut perturber le visiteur, car ce n’est pas une exposition historique. Et si l’on apprend quelque chose de l’histoire du costume, c’est qu’ici comme ailleurs les modes sont cycliques. Ainsi, les costumes qui apparaissent comme les plus traditionnels ne sont pas forcément les plus anciens, et les propositions les plus audacieuses sont rarement les plus récentes. Se dégage surtout une idée commune et cohérente de la représentation de ces personnages au fil des décennies, qui doit à la précision de la langue de Molière, mais aussi aux indications détaillées qu’il distillait sur les costumes.

De cette présentation des archétypes, se démarquent des créations qui frappent le visiteur. Ainsi des pièces signées Christian Bérard, le binôme décorateur-costumier de Louis Jouvet, pour Don Juan ou Amphytrion, qui effectuent une sorte de réduction graphique du costume de théâtre traditionnel. Après le décès brutal de Bérard, Louis Jouvet fait appel à Georges Braque pour habiller son Tartuffe. Yves Saint-Laurent raconte que sa vocation lui est apparue en découvrant sur la scène du Théâtre d’Oran les tenues qu’il avait imaginées pour L’École des femmes, en 1936, présentées dans le parcours. Suivent ensuite des « antiquités », un bourgeois gentilhomme de 1890 à la Comédie Française et des créations récentes, dont le Tartuffe signé Christian Lacroix en 2017 : un jeu sur le plissé dans un quasi monochrome pourpre [voir ill.].

Des écrans diffusent des extraits des représentations, permettant de voir les costumes en action, endossés par Jean-Pierre Bacri dans un sobre misanthrope ou Michel Bouquet en malade imaginaire au saut du lit. Le final sur la grande scène de la dernière salle anime une vingtaine de costumes en musique, tractés par des machineries de bois et de cordes, rendant hommage à la comédie-ballet inventée par Molière.

L’année Anne de France, régente et mécène  

XVe-XVIe siècles. C’est aussi l’année Anne de France, décédée en 1522 : elle aura certes moins marqué l’imaginaire collectif que Molière, mais son empreinte dans l’histoire de France est déterminante. C’est en tout cas ce que vient rappeler la grande exposition qui lui est consacrée au Musée Anne-de-Beaujeu, à Moulins encore, et qui marque une étape dans la recherche historique sur cette figure et sur le duché de Bourbon. Cette première grande exposition consacrée à celle qui fut par deux fois régente du royaume de France est due à une jeune historienne consacrant ses recherches aux femmes de la Renaissance, Aubrée David-Chapy, à l’initiative de la conservatrice du musée, Giulia Longo. Comme souvent, lorsqu’il s’agit de figures féminines du XVe siècle, il y a une « légende noire » à épousseter avant d’entrer dans le sujet : ici, c’est celle de son père, Louis XI. Héroïne chantée par Walter Scott et Gérard de Nerval au XIXe siècle, Anne de France reste pour la postérité la fille d’un prétendu tyran. Avec l’appui de nombreux documents et objets originaux, l’exposition retrace son véritable parcours politique, de son activité diplomatique intense durant la régence du royaume de France, au mécénat artistique mené à la cour du duché de Bourbon, alors l’une des plus importantes de France. Une occasion de redécouvrir la statuaire bourbonnaise, dont le style découle de Jean Hey, peintre du fameux triptyque de la cathédrale de Moulins. Femme de pouvoir, Anne de France a été une « Machiavel au féminin », dont le traité sur l’enseignement des jeunes femmes a été beaucoup lu et appliqué : Diane de Poitiers et Louise de Savoie l’ont eue pour tutrice, avant de devenir elles-mêmes des femmes de pouvoir averties.

Sindbad Hammache

Anne de France 1522-2022, femme de pouvoir, princesse des arts

Jusqu’au 18 septembre, Musée Anne-de-Beaujeu, 5, place du Colonel Laussedat, 03000 Moulins.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Chez Molière, Le costume fait le personnage

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