Art contemporain

Charlotte Charbonnel chorégraphie l’invisible

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2020 - 470 mots

SAINT-OUEN-L'AUMÔNE

L’artiste s’empare de l’abbaye de Maubuisson avec ses installations qui font interagir le site et les énergies tirées du sous-sol.

Saint-Ouen-l’Aumône. À l’extérieur, devant l’aile des moniales de l’abbaye, Charlotte Charbonnel a installé une colonne en béton, entourée au sol de morceaux de pouzzolane (une roche volcanique). À défaut d’être plastiquement réussi – et c’est dommage tant la suite est formidable –, ce qui ressemble à un morceau de canalisation verticale abrite un dispositif composé de cinq capteurs des énergies du sous-sol : radioactivité, température, lumière, ondes sismiques, champs électriques, vibrations liées à nos propres déplacements. Elles vont être traduites plastiquement par un logiciel dans les cinq salles du bâtiment.

Dans la première, la salle du parloir, l’artiste (née en 1980) a installé autour du pilier central une spirale de tiges métalliques [voir ill.]. Au bout de chacune d’entre elles, est accroché un bol, en quartz, en laiton ou en terre cuite. En parfaite harmonie visuelle avec la salle, l’œuvre l’est aussi sur un plan sonore, puisque les bols vibrent et s’entrechoquent pour générer une musique, un « chant de la terre », en fonction des informations reçues. Ou comment être transporté d’une abbaye du Val d’Oise dans un temple tibétain.

Ce sont des sœurs, les moniales, qui empruntaient l’espace suivant, le passage aux champs, où se perpétue et se décline le même principe d’informations captées et transcodées en un mouvement qui, cette fois, fait se déplacer le long d’un rail accroché au plafond un pendule de type Foucault. Viennent s’aimanter sur lui des milliers d’épingles, initialement posées sur un long socle, dans un cliquetis proche des sons émis par des insectes.

Exploration des éléments naturels

Charlotte Charbonnel ne se contente pas de plaquer ses installations ; elle fait en sorte de créer une résonnance sonore et visuelle avec chaque lieu. La preuve en est donnée de façon magistrale dans la salle suivante, la grande salle des religieuses, pour laquelle elle a fait fabriquer trois cornes suspendues au plafond qui, comme des instruments à vent, soufflent sur le sable étalé au sol et qui, selon leur mouvement généré par ordinateur, esquissent des dessins aléatoires. Après l’air, la lumière dans l’antichambre, avec des éclairs et des phénomènes de mémoire rétinienne, puis enfin l’eau dans la salle des anciennes latrines. Là, avec un système de tuyaux et de reflets, l’artiste fait remonter l’eau qui circule dans un canal souterrain. La boucle se ferme et le propos coule de source.

D’une grande cohérence, aussi bien de chaque œuvre dans son contexte qu’entre les œuvres entre elles, l’exposition rappelle l’attention que Charlotte Charbonnel porte aux quatre éléments et aux phénomènes naturels. Le parcours est une magnifique démonstration de sa façon de s’imprégner de l’âme d’un lieu, de transposer et de matérialiser l’impalpable, de rendre visible l’imperceptible dans de splendides cristallisations pour nous en faire vivre l’expérience esthétique.

Charlotte Charbonnel, Geoscopia,
jusqu’au 21 février 2021, Abbaye de Maubuisson, avenue Richard de Tour, 95310 Saint-Ouen-l’Aumône.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°554 du 30 octobre 2020, avec le titre suivant : Charlotte Charbonnel chorégraphie l’invisible

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