Grand Siècle

Charles Le Brun, prodige et éclectique

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 21 juin 2016 - 791 mots

Enrichie par les récentes découvertes, l’exposition du Louvre-Lens dresse le portrait d’un artiste, dont l’œuvre, au croisement de plusieurs influences, est mise au service du pouvoir.

LENS - Peut-on imaginer Charles Le Brun loin de Louis XIV et de Versailles ? C’est ainsi que pourrait être résumé le pari lancé à Lens par Bénédicte Gady et Nicolas Milovanovic. Leur rétrospective reprend l’itinéraire du peintre, depuis son retour de Rome à son apogée comme artiste officiel, dirigeant les manufactures et les chantiers royaux. Elle s’ouvre aux dernières recherches et découvertes, des tableaux apparus sur le marché à ceux récupérés dans les réserves, une suite du Ritz ou un grenier de l’abbaye Notre-Dame de la Trappe. Pratiquement aucune œuvre de la première salle ne figurait dans l’exposition de 2007 à Versailles, ni dans celle de Jacques Thuillier en 1963.

Mêlant tous les arts, sous l’impulsion d’un tandem ouvert aux questionnements, l’antenne du Louvre réussit ici sa première exposition scientifique depuis son ouverture en 2012. Pour ne rien gâcher, un réel effort a été consenti pour l’accompagnement didactique, même s’il aurait mérité d’être un peu plus soutenu. Par exemple, il n’aurait pas été inutile d’expliquer les raisons pour lesquelles un tableau peut être l’œuvre de deux peintres, comme Charles Le Brun et Gaspard Dughet, ou d’indiquer, sous leur portrait, qui est Michel Lasne ou Charles-Alphonse du Fresnoy et leurs liens avec le peintre (1).

Influences croisées
De quel côté penche Le Brun ? L’exposition a bien du mal à apporter une réponse. Elle évoque les Flamands et, bien sûr, Poussin. Le choix des exploits de Moïse, qui les rapproche, est renforcé par une lumière très basse, nous ramenant à ses tonalités assourdies. Il est le maître le plus cité, distançant largement un Simon Vouet, auquel Le Brun doit beaucoup pourtant, en dépit de leurs relations tumultueuses.

Très tôt, le jeune artiste cherche à maîtriser le sens de la composition et la force des expressions, comme le montre ici Hercule terrassant Diomède. Ce traitement des grands formats fait son succès auprès du roi, qui comprend vite le parti qu’il peut en tirer pour son propre programme. Le cheval jeté à terre inaugure aussi un long bestiaire. Les animaux, comme les personnages secondaires, forment autant de transitions qui éveillent l’éloquence narrative du peintre. La salle dévolue à ces études est une réussite. Le Brun adore les chiens et les chevaux. Dans les peintures animalières de Pieter Boel ou à la ménagerie royale, il scrute les lions, les éléphants ou les chameaux. À travers eux, il fait ressentir les émotions, dont il étudie les parentés avec l’expression humaine, dans la foulée de René Descartes et du scientifique napolitain Giambattista della Porta. À « l’espèce de l’homme », il concède néanmoins « un mouvement singulier qui n’appartient qu’à lui » : le froncement de sourcils et les yeux tournés vers le ciel… L’âme est sauve.

Souffle baroque
On s’éloigne de Poussin dans les grands décors, abordés par la maquette de la chapelle de Versailles qui avait été déjà dévoilée en 2007. Le Brun s’est inspiré des plafonds des Cortone et Carracci vus à Rome, allant jusqu’à envahir des pièces entières de ses scènes peintes, prolongées par les stucs, les bronzes dorés, les rideaux et les architectures en trompe-l’œil, dont le sommet est la galerie des glaces. Nous voici de retour à Versailles : s’il y a bien un côté vers lequel il penche, c’est celui de la gloire et du pouvoir…

Dans sa précédente exposition à Versailles, Nicolas Milovanovic avait tenu à dissiper sa réputation de dictateur des arts. Il mettait ainsi en exergue la commande passée à François Girardon pour illustrer l’hiver, au sein d’un vaste cycle allégorique pour le parterre d’eau de Versailles. D’un tragique intense, le vieillard recroquevillé par le froid, à la peau rugueuse, est assez éloigné du dessin sommaire proposé par Le Brun. Sous l’Ancien Régime, l’Académie royale de peinture et de sculpture qu’il a fondée était une enceinte de débats, dans laquelle il édictait des préceptes que lui-même ne suivait pas toujours. Nul ne conteste cette part de liberté désormais. La postérité de Le Brun a d’ailleurs moins souffert de cette réputation que de ses propres limitations. Il flotte en son art une sorte d’indistinction. Empruntant à de multiples sources, il sut les reprendre dans un projet grandiose. Il lui manque l’étincelle du génie. Ayant écarté ses rivaux, il ne laisse pas d’héritier. Alors que François Girardon incarne la relève d’une brillante génération de sculpteurs, sa disparition et la fin du règne signent un effacement de la peinture.

Note

(1) Le premier était un graveur prolixe, le second un peintre et théoricien, élève de Simon Vouet.

Charles Le Brun

Commissaires : Bénédicte Gady et Nicolas Milovanovic
Scénographie : Atelier Maciej Fiszer, chef de projet Thimothée Ma Mung

Charles Le Brun, Le peintre du Roi-Soleil

Jusqu’au 29 août, Louvre-Lens, Galerie d’exposition temporaire, 9, rue Paul Bert 62300 Lens, ouvert tous les jours sauf mardi 10h-18h, www.louvrelens.fr, tél. 03 21 18 63 21, entrée 10 €. Catalogue coéd. Charles Editions Liénart-Musée Louvre-Lens, 439 p., 39 €.

Légende Photo :
Charles Le Brun, Hercule terrassant Diomède, 1640-1641, huile sur toile, Art Gallery, Nottingham. © Nottingham Castle Museum & Art Gallery.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Charles Le Brun, prodige et éclectique

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