Art moderne

Paris-16e

Cézanne, cet Italien

Musée Marmottan Monet

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 547 mots

Coup de cœur : la nouvelle exposition du Musée Marmottan Monet montre comment ce précurseur de la modernité regardait aussi vers les maîtres anciens, notamment italiens.

L’exposition « Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie » est ambitieuse. Par le nombre d’œuvres déjà : 62, qui sont autant de chefs-d’œuvre ; par l’importance des prêts ensuite : 43, émanant de collections internationales. L’accrochage questionne la part d’italianité chez Cézanne, en identifiant dans sa peinture ce qu’il y a d’italien et en le mettant en regard d’une œuvre italienne pour en illustrer le propos. Pourquoi ces rapprochements ? Parce que le rapport aux « maîtres » de Cézanne n’est jamais servile ; l’artiste ne fait pas ses gammes en copiant tel ou tel artiste ; leur influence est plus subtile, mieux digérée, et il s’agit donc davantage de comprendre comment Cézanne s’inscrit dans la continuité des peintres italiens des XVIe et XVIIe siècles que de vérifier ce qu’il aurait bien pu leur emprunter. Le rapport de Cézanne à l’Italie est culturel, une culture qu’il maîtrise sans avoir jamais franchi la frontière, mais grâce à ses inlassables visites au Musée Granet d’Aix-en-Provence et au Musée du Louvre. Cézanne pourrait être né en Italie, sa Provence – il est né en 1839 à Aix-en-Provence – étant située dans l’antique Provincia Romana. La nature, la végétation, la lumière médi­terranéenne ont été des thèmes aussi chers à Cézanne qu’aux peintres italiens. L’exposition s’organise par rapprochements de deux ou trois œuvres. Certains sont évidents comme La Dame à l’hermine qui s’inscrit dans la filiation de La Jeune Fille du Greco. Même proximité entre La Montagne Sainte-Victoire et un Paysage classique de Millet. Cézanne a regardé les maîtres vénitiens, notamment Tintoret, dont il admire le sens de la violence et du tragique – une émotion en accord avec la sienne. Certaines de ses toiles les plus violentes s’inscrivent dans ce sillon : Le Meurtre recèle le même paroxysme que la Déploration du Tintoret, et sa Femme étranglée reprend en l’inversant le mouvement du corps du Christ de La Descente de Croix. Toutefois, c’est à travers le modèle romain et Nicolas Poussin qu’il élabore son œuvre de la maturité. Château-Noir et ses rochers dialoguent avec les éperons rocheux tels qu’ils apparaissent dans le Paysage avec Agar et L’Ange de Poussin. Cézanne partage avec ce dernier un même désir de permanence. Pour autant, il n’en est pas le répétiteur et la différence est immense. Lorsqu’un Poussin ou un Millet produisent un paysage classique, ils inventent un paysage idéal, idéel, dans leur atelier. Cézanne, lui, peint une nature qui existe ; il va chercher l’art dans la nature pour restituer sa vision avec sa sensibilité, sa singularité. L’exposition se poursuit en faisant de Cézanne un maillon parmi l’histoire de l’art italien, entre les anciens et les modernes du XXe siècle. Au début du Novecento, Morandi, Sironi, Boccioni, Soffici, Carrà et Pirandello découvrent Cézanne dans les expositions parisiennes et dans les galeries florentines et se reconnaissent dans sa démarche. Leurs œuvres témoignent d’une analogie de vision, notamment à l’égard de la nature. Tels sont les tenants de cette exposition qui présente une approche de Cézanne dans une continuité culturelle qui est celle de l’italianité, qui n’est pas la seule possible, mais dominante, notamment quand on parle du début du XXe siècle. Subtilement convaincant.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Cézanne, cet Italien

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