XXe siècle

Ceci n’est pas une exposition surréaliste

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 739 mots

La Fondation Beyeler, près de Bâle, signe une grande rétrospective sur l’art surréaliste, des plus classsiques cependant, eu égard aux préceptes édictés par André Breton.

BÂLE - Pas question, dans la très sage Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle (Suisse), de reproduire les excentricités de l’exposition organisée en 1938 dans la Galerie des Beaux-Arts de Georges Wildenstein, à Paris, dont le catalogue n’était autre que le Dictionnaire abrégé du surréalisme. Scénographiée par Marcel Duchamp, celle-ci avait été conçue telle une œuvre surréaliste destinée à mettre à l’épreuve le spectateur, avec ses sacs en toile de jute suspendus au plafond, ses tableaux accrochés aux portes ou ses performances sur le thème de l’hystérie.

Le conservateur Philippe Büttner, a pris le parti de la sobriété pour cette exposition bâloise dédiée à un sujet que les Suisses, selon lui, n’avaient pas abordé avec une telle ampleur depuis la présentation proposée en 1966 (année de la mort de Breton) par Harald Szeemann à Berne – et ses 8 000 visiteurs ! Seule fantaisie dans cet accrochage au cordeau « à la Ernst Beyeler » : le noir de ses cimaises, choix au demeurant judicieux pour la lecture des peintures. La présentation, qui n’est donc en rien surréaliste, a choisi en effet de parler plus des artistes surréalistes que du mouvement à proprement parler. Pas sûr, cependant, que cet accrochage des plus classiques aurait reçu le quitus d’André Breton, contempteur des expositions historicisantes ne mettant guère en danger le spectateur.

Si les deux manifestes de Breton, dans leur version manuscrite, sont bien présents, le parcours s’organise en cabinets monographiques proposant une synthèse en raccourci de l’œuvre des grands artistes engagés dans l’aventure. Ce choix, somme toute efficace, permet de se concentrer sur la manière dont ces artistes ont appréhendé le surréalisme, cette « dictée de la pensée en dehors de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale », comme l’a défini le maître à penser, André Breton. Quitte parfois à s’en éloigner. Ainsi des grands pionniers, tel Max Ernst qui, après avoir créé des images iconiques du mouvement, comme La Femme chancelante (1923, Düsseldorf), s’interroge à nouveau sur l’art d’après nature dans son monumental Un peu de calme (1939, National Gallery of Art, Washington). Cet accrochage permet aussi la mise en valeur d’artistes souvent noyés dans la masse surréaliste, tel le Roumain Victor Brauner, dont est révélé un dessin de 3,80 m exhumé des réserves du Musée national d’art moderne et conçu tel un story-board. Ce parcours sans surprise, qui n’exclut pas les objets, égrène donc les grands noms : Miró, Masson – finalement assez peu présent –, Tanguy, Bellmer, Picasso, Arp, Dalí, brillant participant devenu plus tard un renégat, mais aussi les Belges Magritte et Delvaux. Il évoque par ailleurs la photographie et, en toute logique, le cinéma.

Peggy et Simone
Deux salles constituent toutefois une exception. L’une est dédiée à la collection de Peggy Guggenheim, qui a accueilli les artistes lors de l’exil américain de la Seconde Guerre mondiale. L’autre, inédite, est consacrée à ce qu’il reste aujourd’hui de la collection de Simone Collinet. Première épouse d’André Breton, Simone était celle qui, sur les photos de Man Ray, dactylographiait les séances de « rêve éveillé », belle jeune femme moderne issue de la haute bourgeoisie parisienne qui évolue au milieu de cette assemblée masculine. Passionné d’art, le jeune couple faisait aussi office de marchands d’art, pour améliorer son quotidien financier, et avait acquis, pour son propre compte, une remarquable collection. Celle-ci sera partagée en deux après leur divorce, en 1938. Simone, qui prendra le nom de Collinet avec son remariage, continuera à l’enrichir après la guerre, notamment d’un magnifique Judith de Picabia de 1929. Devenue marchande patentée, elle vendra plus tard une partie de sa collection, parmi lesquels les précieux manuscrits de Breton.

La remarquable évocation de cet ensemble, même aujourd’hui lacunaire, ne fait que plus regretter la dispersion de l’autre pan de la collection, celle d’André Breton, conservée dans son appartement de la rue Fontaine jusqu’en 2003, avant d’être mise à l’encan, faute de voir aboutir un projet de fondation.

LE SURRÉALISME À PARIS

Nombre d’œuvres : 290
Nombre de prêts : 275
Commissaire : Philippe Büttner, conservateur à la Fondation Beyeler, en partance vers le Kunsthaus de Zürich

Jusqu’au 29 janvier 2012, tlj 10h-18h, 20h le mercredi, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen/Bâle, www.fondationbeyeler.ch. Catalogue, (allemand et anglais), 289 p., éd. Hatje Cantz Verlag, 68 CHF (env. 55 €), ISBN 978-3-7757-3161-4

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Ceci n’est pas une exposition surréaliste

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