Carpeaux dans le secret de l’atelier

L’exposition du Grand Palais a révélé Daumier peintre. Les critiques de son temps lui reprochaient l’aspect non-fini de ses toiles, incurie d’un dessinateur-sculpteur s’aventurant à manier le pinceau. Qu’auraient-ils pensé devant les peintures de son contemporain Carpeaux, le très officiel sculpteur du Second Empire ?
On imagine leur stupeur devant sa manières spontanée, ses formes laconiques noyées dans de généreux empâtements, sa touche rapide et allusive, aux antipodes de l’esthétique policée néoclassique, à laquelle Carpeaux sacrifie parfois dans ses sculptures. Mais l’artiste prit bien soin de préserver ses huiles des gémonies de ses contemporains. Conçu à l’abri des regards, son œuvre peint ne sera révélé que 20 ans après sa mort, en 1894, lors de la vente publique de son fonds d’atelier. Troquant son burin pour ses pinceaux, Carpeaux s’adonnait au périlleux exercice de l’autoportrait, se faisait le témoin engagé des agitations politiques de son temps (L’Attentat de Bérézowski) ou se livrait à de très libres interprétations des maîtres anciens, arrachant à chaque fois ses sujets à l’anecdote pour n’en restituer que l’émotion et l’impression visuelle. Dans cette peinture aux allures de jardin secret, Carpeaux « parle vrai », ose une manière esquissée qui déconcerte... et retarde le moment de « prendre complètement au sérieux son œuvre peinte », déclare Laure de Margerie, commissaire de l’exposition aux côtés de Patrick Ramade. Il aura fallu attendre un siècle pour que soit levé un coin de voile sur la part intime – et audacieuse – de sa production. Après Valenciennes, 90 peintures rejoignent le Musée du Luxembourg et démontrent combien Carpeaux partageait avec Daumier, une génération avant les impressionnistes, une certaine conception de la modernité.