Art ancien

Caravage, le renégat

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 432 mots

Le Musée Jacquemart André, à Paris, offre ses cimaises à un autre enfant terrible de la peinture : le Caravage.

La rentrée 2018 est définitivement placée sous le signe des mauvais garçons de la peinture. À commencer par le plus révolté des peintres anciens, le premier des hors-la-loi de l’histoire de l’art, le Caravage (1571-1610). Quatre siècles après sa mort tragique, et mystérieuse, cette figure singulière et décisive dans l’évolution de la peinture continue encore de déchaîner les passions et de charrier un parfum de scandale. Son nom suffit ainsi à convoquer l’image d’une Rome déliquescente où les artistes manient le couteau avec autant de dextérité sur la toile que dans les rixes. Son nom est aussi synonyme d’une œuvre révolutionnaire en tout points qui enthousiasma ses admirateurs autant qu’elle révulsa ses rivaux. Le génial, mais ô combien classique, Nicolas Poussin aurait d’ailleurs dit de lui : « Il est venu au monde pour détruire la peinture. »
 

Du jamais-vu

Il est vrai que le Caravage a assassiné une certaine idée de la peinture, basée sur l’imitation des maîtres et des canons académiques. Avant lui, jamais la peinture n’avait semblé aussi vivante et dramatique. L’artiste brise les codes en représentant des personnages de chair et de sang, inspirés de gens du peuple. Ses anges ont en effet pour modèles des gamins des rues au charme tendancieux, tandis que ses saintes sont dessinées d’après des lavandières, voire des filles de joie. Évidemment, ce bouleversement ne se fait pas sans heurts et plusieurs de ses œuvres sont refusées, comme la provocante Madone des palefreniers, d’inspiration ouvertement plébéienne, affichant un insolent décolleté… Du jamais-vu.

Ses tableaux refusés, essentiellement par le clergé et non par ses commanditaires, sont cependant immédiatement acquis par d’éminents représentants de la noblesse de robe ou par des collectionneurs de premier plan comme Scipion Borghese. Car le tout-Rome s’arrache ce peintre sulfureux, à qui on prête des aventures amoureuses avec les deux sexes, et qui aurait commis deux assassinats. L’artiste, protégé par le cardinal Del Monte, embrasse un succès foudroyant. En quelques années, il est couvert de commandes prestigieuses composées essentiellement de grands décors d’églises, là où se joue alors le renouveau de la peinture. Ses compositions naturalistes, théâtralisées par une utilisation inédite de la lumière, le fameux clair-obscur, font des émules et une foule d’artistes reprennent ses idées et ses techniques audacieuses. En 1610, à 38 ans seulement, le peintre disparaît sans avoir formé d’élève mais en ayant suscité un mouvement européen réunissant des talents aussi divers que Gentileschi, Ribera ou Van Honthorst. Ceux que l’histoire de l’art baptisera bientôt les caravagesques.

« Caravage à Rome. Amis et ennemis »,
jusqu’au 28 janvier 2019. Musée Jacquemart André, Paris-8e. Tous les jours de 10 h à 18 h et jusqu’à 20 h 30 le lundi. Tarifs : 15 et 9,5 €. Commissaires : Francesca Cappelletti et Pierre Curie. www.musee-jacquemart-andre.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Caravage, le renégat

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