Patrimoine

Cap sur la Bretagne face à la mer

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 25 juin 2013 - 1350 mots

Ici, les frontières sont des rochers et des plages. Ici, les douanes sont des ports, les franchissements des traversées. Ici, le lointain est tout près et l’étendue s’appelle le large. Embarquement à la découverte de la Bretagne face à la mer, entre patrimoine et expositions.

1- Dans toute la région Bretagne : la beauté odysséenne
Trente ans que les Frac existent. Pour son anniversaire, le pôle breton a imaginé une programmation ambitieuse et fragmentée, intitulée « Ulysses, l’autre mer ». De nombreuses expositions, essaimées dans toute la péninsule, s’emparent de cette figure homérique et joycienne pour sonder les fonds marins et le fond de l’âme, quand les embruns chahutent et que les vagues obsèdent. De Rennes à Brest, de l’île de Batz à l’île d’Houat, musées, centres d’art, chapelles, gares et galeries mutualisent leurs efforts pour célébrer, par le cinéma, la peinture ou la performance, cette mer qui circonscrit les rêves et ouvre des perspectives. Points d’orgue de cet étoilement artistique, les manifestations estivales, hébergées par le Frac Bretagne et le Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc, accueillent des œuvres signées Raymond Hains, Éric Baudelaire ou Paola Salerno pour que surgisse, entre les lignes et sans les mots, cette « autre mer », celle des marges insulaires, des zones oubliées, des quartiers de solitude et des voyages au long cours. Demandez le programme.

« Ulysses, l’autre mer. Un itinéraire d’art contemporain en Bretagne »

2- Saint-Malo : la mer, outre-tombe
Très tôt, François René de Chateaubriand voulut être enterré dans la cité corsaire qui le vit naître en 1768. Regagner d’où l’on vient. Lui dont les boucles jouaient avec le vent voulut s’éteindre là où alternent les zéphyrs et les bourrasques, où la douceur n’est jamais qu’une accalmie. À cet effet, l’écrivain adressa en 1828 une lettre au maire de Saint-Malo afin que lui fût concédée « la pointe occidentale du Grand Bey ». En 1838, dix avant la mort de Chateaubriand, la sépulture était prête. Ne manquait plus que la dépouille. En 1944, un obus endommagea l’ouvrage néogothique. Sa reconstruction, plus sobre, rendait justice aux désirs d’un hôte qui réclama pour son ultime demeure la seule austérité. Accessible quand la mer se retire, tel un sésame pendulaire, ce promontoire devint un lieu de recueillement pour nombre d’artistes. Avec, pour consigne, une épitaphe : « Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’y entendre que le vent et la mer. Passant, respecte sa dernière volonté. »

3- Perros-Guirec : l’Armor de Kickert
La côte armoricaine, par sa sauvagerie et son mystère, a contrarié des routes que l’on croyait tracées, encouragé des talents que l’on savait enfouis. Il en fut ainsi de Conrad Kickert (1882-1965), peintre hollandais absent des manuels d’histoire de l’art, en dépit de sa force et de sa fièvre, exposées à la Maison des Traouïero de Perros-Guirec. Critique d’art aigu à qui l’on doit d’avoir révélé l’œuvre de Mondrian, Kickert fut un artiste important qui, bien qu’il assimilât les tendances modernistes, aperçues en France dès 1909, n’y dilua jamais son talent. La mer, celle découverte à Ploumanac’h en 1913, allait bouleverser ses certitudes. Ressac du doute, retour d’une figuration plus ample où le paysage, parfois violenté, est encore chaud des prescriptions cézanniennes. La mer, comme un second souffle.

« Conrad Kickert »

4- Brest : un arsenal photographique
Soucieuse de tirer des enseignements de l’éprouvante guerre de Crimée (1853-1856), la Marine française s’engagea dans trois innovations technologiques majeures : la propulsion à vapeur, l’obus explosif et la construction métallique. Cette mutation industrielle, en tant qu’elle affectait substantiellement le visage de la ville, méritait un inventaire avant liquidation, un état des lieux avant restructuration : la photographie en fut l’instrument majuscule. C’est en 1860 que l’atelier photographique de l’arsenal de Brest réalisa les premières photographies de ce port appelé à changer de peau et de visage : ponts, bassins et navires, fixés sur de remarquables papiers albuminés, dessinent ainsi une géographie silencieuse, désertée par l’homme et peuplée par un devenir incertain. Un siècle avant les Becher, ces treuils, grues et échafaudages disent la fragilité – sociale et territoriale –, avant que présence et actualité ne deviennent absence et souvenir. La mer, ce monde évanescent.

« Arsenal de Brest. Photographies et territoires, 1860-1914 »

5- Landévennec : avant les ruines, les drakkars
C’est là que l’Aulne décrit son dernier méandre et que Brest ouvre sa rade. L’abbaye de Landévennec, érigée sur une presqu’île préservée, entre mer et rivière, entre terre et ciel, jouit d’un site remarquable. C’est ici, au Ve siècle, que Guénolé vint s’établir, avec plusieurs compagnons, pour évangéliser la Cornouaille et faire de ce monastère un épicentre du christianisme celtique. Du splendide ensemble roman dévasté par la Révolution ne subsistent que des ruines, manière de rappeler les nombreux tributs que les lieux payèrent à l’Histoire. Une histoire qui vint souvent de la mer, ainsi ces Vikings qui, en 913, il y a tout juste onze siècles, accostèrent à Landévennec avant de piller et d’incendier l’abbaye. Une docte exposition explore cette conquête farouche et l’imagerie qu’elle contribua à sceller, notamment dans la bande dessinée : drakkars effrayants, barbares impitoyables, épisodes légendaires. Quand la Bretagne, par les mers, faillit devenir normande.

« La Bretagne, les Vikings et la bande dessinée »

6- Ar-Men : un phare vacille
Pour les marins, son faisceau blanc à trois éclats, avec sa période de vingt secondes et sa portée de vingt-trois milles, est un mythe. Une boussole dans la nuit, une lueur familière. Étrange beffroi que cette gigantesque « pierre » – telle est la traduction de son nom breton – au milieu de la mer d’Iroise, non loin d’une île de Sein dont la vision, dit la sagesse proverbiale, serait celle de sa propre fin. Érigé sur une barrière d’écueils, entre 1867 et 1881, le phare devait mettre un terme aux nombreux naufrages répertoriés dans cette zone de récifs dépourvue de tout balisage. Dont acte avec une construction épique qui vit d’intrépides marins édifier, contre vents fous et marées folles, une lanterne inouïe. Surnommé « l’enfer des enfers » par les gardiens, Ar-Men est désormais automatisé. L’homme a déserté les lieux. Cet homme qui, coûte que coûte, en dépit des vagues scélérates faisant trembler les murs, entretenait la maçonnerie et le faisceau, le gros œuvre et le chef-d’œuvre. Mais que va-t-il advenir de ce phare alors que l’homme n’entretient plus la flamme ?

7- Port-Louis : heurs et malheurs d’une citadelle
Située à l’entrée de la rade de Lorient, ceinte par deux fleuves côtiers – le Blavet et la rivière d’Étel –, la citadelle de Port-Louis fut construite en 1591 sur un éperon rocheux par les Espagnols, désireux de protéger leur récente possession, conquise de haute lutte durant les guerres de la Ligue. La citadelle, reprise par le royaume de France, fut partiellement détruite sous Henri IV avant d’être remodelée sous Louis XIII, puis étudiée par Vauban. Cette fortification bastionnée, qui avance comme une proue sur l’océan, dénote l’importance d’un site qui fut désigné pour abriter la Compagnie des Indes orientales, et son actuel musée, puis pour accueillir la plus grande base de sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.Objet de convoitise sous l’Ancien Régime, lieu de torture durant l’Occupation, la citadelle de Port-Louis, par ses joyaux comme par ses balafres, cristallisa des desseins stratégiques et politiques, preuve que l’océan est plus qu’un horizon : un enjeu.

« Citadelle et Musée de la Compagnie des Indes.»

Infos pratiques

En Bretagne, « Ulysses, l’autre mer. Un itinéraire d’art contemporain en Bretagne », 22 lieux mobilisés par le Frac Bretagne, jusqu’au 3 novembre 2013, www.fracbretagne.fr

Saint-Malo, la tombe de Chateaubriand, www.ville-saint-malo.fr

Perros-Guirec, « Conrad Kickert », Maison des Traouïero, Perros-Guirec (22), du 30 juin au 1er septembre 2013, www.perros-guirec.com

Brest, « Arsenal de Brest. Photographies et territoires, 1860-1914 », Musée national de la Marine, château de Brest, Brest (29), jusqu’au 12 novembre 2013,www.musee-marine.fr

Landévennec, « La Bretagne, les Vikings et la bande dessinée », Musée de l’ancienne abbaye, Landévennec (29), jusqu’au 15 septembre 2013, www.musee-abbaye-landevennec.fr

Île de Sein, le phare d’Ar-Men

Lorient, Citadelle et Musée de la Compagnie des Indes, Port-Louis (56), http://musee.lorient.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : Cap sur la Bretagne face à la mer

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