Art contemporain

Bruxelles, Paris, David Hockney dans tous ses états

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2021 - 870 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

Deux grandes expositions à Bruxelles retracent le parcours du peintre jusqu’à son travail en Normandie commencé au printemps 2020, dont une déclinaison est présentée au Musée de l’Orangerie.

David Hockney en Normandie, 20 mai 2020. © Photo Jean-Pierre Gonçalves de Lima / Galerie Lelong & Co. Paris
David Hockney en Normandie, 20 mai 2020.
© Photo Jean-Pierre Gonçalves de Lima / Galerie Lelong & Co. Paris

Bruxelles et Paris. Octogénaire, le « dernier des Mohicans » de la génération du pop art, David Hockney (né en 1937) continue à séduire. Longtemps réduit au rôle d’élégant illustrateur de l’univers feutré de Beverly Hills, il fait désormais partie des rares artistes qui réussissent à la fois à être couronné par l’histoire de l’art – et par le marché – et à plaire au grand public. Ses expositions sont fréquentées par des jeunes qui partagent sa fascination non seulement pour la photographie et la vidéo, mais aussi pour des images générées par un large éventail de moyens technologiques récents – copieurs et fax, smartphones et tablettes. Au Bozar, dans une mise en abyme spectaculaire, de nombreux visiteurs brandissent leur téléphone pour capter les images faites par le même type d’appareils. Cette double exposition bruxelloise, à laquelle s’ajoute la présentation parisienne au Musée de l’Orangerie, tente de faire le tour de l’ensemble de la carrière de ce grand expérimentateur.

Suivre le parcours de l’artiste

La scénographie – originale et déroutante – s’ouvre sur les gigantesques Bigger Trees Near Warter (2007), la plus grande œuvre de l’artiste à ce jour – plus de 12 mètres de long. On plonge dans un paysage du Yorkshire, la région natale de Hockney. Pour ceux qui ont visité la rétrospective au Centre Pompidou en 2017, c’est un rappel des magnifiques forêts que l’artiste a peintes à la même période. Dans un cas comme dans l’autre, on est saisi par ce réalisme magique d’un paysage simplifié à l’extrême, mais qui inspire un sentiment poétique intense.

Puis, c’est un retour en arrière qui permet de suivre les débuts d’un peintre cherchant à se libérer du carcan de l’enseignement académique de l’Euston Road School à Londres, mais également de la rigidité de la société britannique qui interdit d’exprimer ses désirs sexuels. Dans un langage proche d’un Dubuffet, Hockney évoque plus ou moins ouvertement son homosexualité, un délit à cette époque. Au Bozar, peu de toiles appartiennent à cette période, mais sont montrés de nombreux dessins et estampes. Suit la période la plus connue de l’artiste lorsqu’il déménage aux États-Unis et s’installe à Los Angeles. Si on peut regretter l’absence de ce tableau emblématique qu’est le Big Splash (1967), d’autres toiles et surtout des dessins préparatoires reflètent cet esprit hédonique.

Cependant, le peintre a beau quitter l’Angleterre, il reste imprégné malgré tout par la tradition de son pays car la figure humaine autant que le paysage restent ses sujets favoris. Ses portraits et surtout ses doubles portraits sont des face-à-face ou plutôt des côte à côte de deux personnages qui, séparés par le vide, ne sont jamais en contact direct. Aucun échange ne vient animer ces confrontations muettes, placées dans un décor théâtral glacial. Même quand il s’agit d’un couple – l’imposant Mr. and Mrs. Clark and Percy (1970-1971) –, un sentiment d’inquiétante étrangeté ou familiarité empêche toute intimité. Si la très mince couche de peinture apposée par aplats donne une impression proche de la photographie, le refus du réalisme apparaît dans le traitement acidulé de la couleur et dans les contours stricts des dessins.

Mais c’est surtout avec les paysages – à partir des années 1980 – que Hockney remet en question la représentation classique. Il y intègre la « perspective inversée » : le point de fuite est derrière le spectateur et tout le tableau converge vers lui. Selon lui, la perspective, telle qu’elle est définie à la Renaissance en Occident – et qui n’existe pas dans les arts chinois ou japonais – oblige à regarder le monde d’un seul point de vue et de se tenir à distance. En renversant les données spatiales, on prend en compte aussi bien les déplacements du corps qui regarde que la mobilité incessante de son environnement. Inspirée par la révolution cubiste, cette prise de conscience de l’instabilité du réel – « si nous sommes vivants, nous sommes en mouvement », affirme Hockney – le mène à « fabriquer » des images composites à partir de centaines de polaroïds. En somme, son œuvre tend à substituer à un point de vue stable celui de la vision oculaire incessamment sollicitée et où le monde est perçu selon la contrainte de l’éphémère.

Musée de l’Orangerie, David Hockney. A Year in Normandie © Photo LudoSane pour LeJournaldesArts.fr, 2021
« David Hockney. A Year in Normandie », Musée de l’Orangerie
© Photo LudoSane pour LeJournaldesArts.fr, 2021

À l’Orangerie, des aquarelles numériques

Plus récemment – et c’est sans doute le point fort de l’exposition bruxelloise – armé de sa tablette numérique et des applications développées spécialement pour lui, l’artiste, qui vit depuis quelques années en Normandie, réalise des « aquarelles numériques ». Avec cent seize œuvres imprimées sur papier, David Hockney décline les changements atmosphériques qu’il perçoit pendant le confinement du printemps 2020. Série narrative ou thème et variations d’une richesse colorée inouïe, ici encore la technologie est au service de la poésie. Il est cependant dommage que ce charme soit rompu avec la frise longue de 70 mètres, installée quant à elle à l’Orangerie, en quelque sorte une version contemporaine des Nymphéas de Claude Monet. Ici, la nature est moins féerique, moins enchanteresse. Quand la simplicité envoûtante cède la place à une simplification systématique, la grâce s’envole.

A Year in Normandie". Vue de l’atelier de David Hockney, mai 2021.
David Hockney, œuvres de la collection de Tate, 1954-2017 ; L’arrivée du printemps, Normandie 2020,
jusqu’au 23 janvier 2022, Bozar, Palais des beaux-arts, rue Ravenstein, 23, 1000 Bruxelles.
David Hockney, A Year in Normandie,
jusqu’au 14 février 2022, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : Bruxelles, Paris, David Hockney dans tous ses états

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