XVIIIe

Bouchardon, au-delà de l’ennui

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 820 mots

Poursuivant son exploration de la sculpture du XVIIIe siècle, le Louvre propose une exposition enrichissante sur un artiste passablement monotone.

PARIS -  Le « premier de nos sculpteurs », « le plus grand sculpteur et le meilleur dessinateur du siècle ». Les commentateurs du règne de Louis XV ne tarissent pas d’éloges sur Edmé Bouchardon (1698-1762). L’excès nous paraît flagrant aujourd’hui, si bien que l’on est presque ravi de trouver au Louvre une rétrospective, montée avec le Getty de Los Angeles, qui parvient à enrichir le sujet.
Outre que les conditions d’accueil sous la pyramide ont été nettement améliorées, le visiteur pourra apprécier l’effort didactique des commissaires, qui ont systématisé panneaux et cartels explicatifs, en prenant soin d’éviter le jargon réservé aux historiens de l’art. Le Louvre ne considère plus que tout le monde sait ce qu’est « la réserve » sur une feuille de dessin ou ce que représentaient « les parties casuelles » (1) sous l’Ancien Régime. Car – c’est le principal mérite de l’exposition – l’œuvre de Bouchardon est présenté dans son déroulé, associant dessins, terres cuites, marbres, estampes, illustrations ou pièces honorifiques.

Des dessins maniérés et élaborés
Fils d’un sculpteur champenois, élève de Guillaume Coustou, l’artiste a connu la gloire à Paris sous la protection de deux collectionneurs à l’influence considérable : le comte de Caylus et Pierre-Jean Mariette. Le personnage n’était pas drôle ; orgueilleux, peu loquace, frugal, « très despote chez lui » comme le narrait son contemporain Charles-Nicolas Cochin, et la sécheresse de cette personnalité se ressent dans ses compositions. Il a bâti sa réputation à Rome grâce à ses bustes de grand personnage, ainsi que sa copie du faune de la collection Barberini, traduisant déjà une nette inclination homophile (que les conservateurs du Louvre se gardent bien d’aborder). Mais le gouvernement royal, mécontent, finit par le rappeler à Paris. Il avait alors déjà forgé les éléments d’un vocabulaire alliant « les sévérités de l’antique aux grâces du naturel », selon les mots du peintre Michel-François Dandré-Bardon. Même si le catalogue trouve excessif d’en faire le pionnier du néoclassicisme, son caractère l’a franchement inscrit dans la réaction aux « effets maniérés », exaltant une beauté lisse et polie qui nous échappe un peu aujourd’hui, mais qui était alors portée aux nues.

Très prisés des amateurs, ses dessins formaient de véritables tableaux. Son trait très peu spontané met en place une composition déjà établie. Le Louvre expose notamment sa série d’estampes dédiée au « petit Peuple de Paris ». Sur l’exemple des « Arti di Bologna » d’Annibale Carracci, publiés tardivement en France, il reprend un genre à succès. Carle Van Loo a publié un recueil « des charges dessinées à Rome » et François Boucher ses « Cris de Paris », d’un trait plus délié, dont les saynètes montrent une inventivité à laquelle Bouchardon ne peut prétendre. L’exposition est aussi l’occasion pour le visiteur de juger si le buste en marbre, irrégulièrement veiné, du marquis de Gouvernet valait bien le prix délirant payé par le Louvre il y a quatre ans (2). On peut lui préférer le modèle en terre cuite de Jacquemart-André, à l’expression plus vivante. Bouchardon se montre aussi capable de s’inspirer de l’art mouvementé de Bernini ou de Michel Ange. On se réjouit de voir ses allégories du vent ou la sensualité émergeant de ses enfants joueurs.

Perfectionniste
Des sections sont consacrées à ses grands projets pour Paris, la statuaire de l’église de Saint-Sulpice, dont les deux meilleurs exemplaires ont traversé la Seine, la fontaine de la rue de Grenelle, son chef-d’œuvre, ou encore la statue équestre de Louis XV (détruite à la Révolution). Dans les deux cas, la sculpture s’insère dans une vision urbaine moderne. Monumentale, la fontaine, dont l’artiste prend bien garde d’installer les bas-reliefs à hauteur de vue – ce qui lui sera reproché – est installée sur un terrain vague, afin de pouvoir dégager l’espace sur la rue. La statue, pour laquelle il a multiplié les études de chevaux, prend place au centre d’une nouvelle place royale, entourée de balustrades et de fossés, aujourd’hui devenue la Concorde.

À côté de son Amour destiné au salon d’Hercule à Versailles, sont alignées les études qu’il a exécutées en tournant autour du modèle. On pense à Degas, réalisant le même exercice avec un appareil photographique pour réaliser sa petite danseuse. Charles Nicolas Cochin n’avait pas tort quand il lui reprochait « son extrême passion pour le fini », dont « l’excès est un défaut », et qui transformait sa statuaire en « morceau d’orfèvrerie ». Le Louvre aura su nous soulager de sa part d’ennui.

Notes

(1) Département royal chargé de vendre les charges, mais qui pouvait aussi émettre des jetons honorifiques et monétaires, recherchés par les numismates.
(2) 3 750 000 € aux enchères, alors que le même buste provenant des descendants, était proposé à moitié prix, il est vrai assez discrètement, un an plus tôt dans une prestigieuse galerie parisienne.

Bouchardon (1698-1762). Une idée du beau

jusqu’au 5 décembre, Musée du Louvre, Hall Napoléon, 75001 Paris, mercredi-lundi 9h-18h, mercredi et vendredi jusqu’à 21h45, tél. 01 40 20 53 17, entrée 15€ . Catalogue, éd. Somogy, 448 p., 49€

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Bouchardon, au-delà de l’ennui

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