Art ancien

Botticelli, peintures privées

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 octobre 2003 - 1520 mots

Centrée sur les œuvres à destination privée de Botticelli, notamment pour les Médicis, l’exposition montée par Daniel Arasse et Pierluigi de Vecchi au musée du Luxembourg réunit une trentaine d’œuvres significatives du maître, de ses débuts aux années noires de Florence, à la fin du Quattrocento. En les confrontant à quelques peintures et dessins de Filippino Lippi, Piero di Cosimo ou Léonard de Vinci, autres protagonistes de la Renaissance florentine.

Il n’y a pas eu, récemment, d’exposition monographique consacrée à Sandro Botticelli (1445-1510), du moins en ce qui concerne les peintures ; la dernière en date, à Rome en 2000, réunissait un ensemble de ses dessins. Celle-ci, la seconde consacrée à la Renaissance italienne au musée du Luxembourg après « Raphaël, grâce et beauté » (2001), ne prétend pas être une rétrospective, puisqu’en sont absents certains chefs-d’œuvre comme Le Printemps  (vers 1478) ou La Naissance de Vénus (vers 1484), grands panneaux qui ne pouvaient être déplacés. Elle propose néanmoins une image renouvelée de l’artiste, fondée sur les recherches et les analyses les plus récentes de l’œuvre, et permet, à travers vingt et une peintures célèbres ou méconnues de Botticelli, des dessins et quelques œuvres de confrontation, de se plonger au cœur de l’histoire tourmentée de Florence et de se pencher sur les rapports étroits qu’entretiennent alors l’art et le pouvoir. Dans la seconde moitié du XVe siècle, se développe à Florence le goût d’une peinture raffinée et érudite, les grandes familles commandent aux artistes, et la plus influente d’entre elles, celle des Médicis, choisit les meilleurs pour décorer ses palais. Filippo Lippi, Benozzo Gozzoli, Alesso Baldovinetti ou les frères Pollaiolo vont peindre dans l’optique de satisfaire les goûts de leurs destinataires, avec pour mission de faire rayonner l’art florentin dans toute la région, et de réaffirmer l’hégémonie culturelle de la ville. C’est une véritable stratégie de la part des Médicis pour asseoir leur puissance. La personnalité de Laurent le Magnifique domine les années 1470-1480. Succédant à son père, il mélange l’héritage des traditions familiales à un humanisme qui lui est cher et qui s’avère dans l’air du temps. On assiste, en littérature comme en peinture, à des réminiscences classiques avec une inspiration renouvelée pour les mythes de l’Antiquité.

Sentiment religieux et charme mythologique
Dans ces années-là, l’atelier de Verrocchio est le plus actif de Florence. Abritant entre autres Lorenzo di Credi et Léonard de Vinci, il voit également passer Le Pérugin et Sandro Botticelli, ce dernier après sa formation chez Filippo Lippi et, peut-être, auprès d’orfèvres. Il est certain qu’il entretient des relations avec de nombreux artisans florentins. L’exposition présente à ce titre une tapisserie et un vêtement ecclésiastique réalisés d’après des cartons de Botticelli. Ses premières madones à l’enfant sont très marquées par celles de son maître, Filippo Lippi ; certaines d’entre elles ont d’ailleurs posé des problèmes d’attribution. Très vite, la spécificité du style de Botticelli se précise, sa ligne s’affirme, différente de celle de Lippi, plus légère. Les corps n’ont pas non plus la tension de ceux peints par Verrocchio ou Pollaiolo, il y a une grande douceur chez Botticelli, une certaine mélancolie dans l’expression et les attitudes des personnages. La différence avec les autres artistes de son temps ne vient pas seulement du style, mais aussi, parfois, de l’interprétation du thème choisi. Le meilleur exemple est sa représentation de l’histoire de Judith et Holopherne, en deux tableaux de ses débuts (vers 1472), conservés au musée des Offices et présentés dans l’exposition. Dans La Découverte du corps d’Holopherne et Le Retour de Judith à Béthulie, les instants choisis sont ceux d’après le drame, ce qui permet à Botticelli d’offrir des visions dramatiques, tendues, mais plus mélancoliques que celles que l’on a l’habitude de voir en peinture (Judith tranchant la tête d’Holopherne).

La personnalité de Botticelli rayonne durant les deux dernières décennies du Quattrocento, tant par les œuvres qu’il produit pour ses grands mécènes que par les fresques qu’il réalise à Rome pour la chapelle Sixtine en 1481-1482. Botticelli entretient des rapports étroits avec les Médicis. Son art délicat et poétique, entre sentiment religieux et charme mythologique, répond pleinement aux goûts de Laurent le Magnifique et à son désir de tisser un lien fort entre l’art et la politique. Botticelli incarne un certain humanisme aristocratique, un idéalisme s’opposant à l’art de Ghirlandaio ou à celui de Piero di Cosimo. Vers 1478, Botticelli peint Le Printemps, chef-d’œuvre profane revisitant le mythe antique, où l’artiste privilégie l’évasion, la douceur, les rythmes linéaires liant les personnages dans une véritable danse. Il peint ensuite, vers 1482, Pallas et le Centaure, réalisé pour Lorenzo di Pierfrancesco. De très grand format, peinte sur toile, cette œuvre a suscité diverses lectures : selon l’interprétation néoplatonicienne, elle symboliserait la victoire de la raison sur l’instinct ; d’autres, plus tard, y ont vu l’allégorie du triomphe de Laurent le Magnifique sur ses ennemis. C’est aussi vers 1482, à son retour de Rome, qu’il peint à Florence ses plus belles madones. Sa ligne harmonieuse n’a jamais eu autant de grâce, la construction des compositions et l’usage de la perspective révèlent une prodigieuse virtuosité. Botticelli a tendance à donner à ses vierges une mélancolie, une douleur, manifestant un grand intérêt pour l’expression des mouvements de l’âme par ceux du corps, suivant ainsi les préceptes établis par Alberti. Le peintre se montre indifférent à l’anatomie, aux volumes. Ses corps sont des silhouettes, à la différence de ceux des personnages de Filippo Lippi. Botticelli excelle aussi dans l’art du portrait, et l’exposition en présente quelques-uns, le Portrait d’homme avec la médaille de Côme l’Ancien du musée des Offices ou deux Portrait de jeune fille, dont l’un provient d’une collection particulière américaine, l’autre de la Galleria Palatina, à Florence.
La dernière décennie du siècle est pour Florence celle de la débâcle et du chaos, avec une crise politique – Laurent le Magnifique meurt en 1492, laissant des héritiers indignes – et spirituelle – Savonarole prédit une ère de terreur, de destruction, de massacre et d’esclavage, plongeant par ses sombres prophéties le peuple dans le tourment. Cette crise spirituelle touche particulièrement Botticelli, grand fidèle de Savonarole, et une nouvelle dimension morale traverse sa peinture. Il peint des allégories moralisatrices comme L’Histoire de Virginie (vers 1500), présentée dans l’exposition, et son pendant, Lucrèce. Dans La Calomnie (1495-1497), dernière scène narrative profane de l’artiste, le côté humaniste et les grands sentiments, qui caractérisaient jusque-là sa peinture, semblent avoir disparu au profit d’une peinture plus dure, très élaborée, de petit format, inspirée d’une composition du Grec Apelle (ive siècle). Lorsqu’il traite de sujets sacrés, la peinture de Botticelli se révèle aussi plus sévère, les gestes et les visages sont dramatiques, les compositions théâtrales, comme peuvent l’être les effets employés par Savonarole lors de ses inquiétantes prédications. Les œuvres religieuses tardives ne montrent plus de vierges à l’enfant dans une nature idéalisée, mais s’intéressent à des épisodes plus sombres, comme la Passion dans Le Christ sur le mont des Oliviers (1500-1504).

Botticelli meurt en 1510, à Florence. Sa peinture, curieusement, va assez peu influencer les jeunes artistes, davantage sensibles aux recherches nouvelles de Léonard, Michel-Ange et Raphaël. L’enchevêtrement des corps et la fluidité des lignes, le chromatisme délicat de Botticelli ne trouveront pas de réels échos. Si certains tentent de l’imiter, le résultat est souvent maladroit, à l’exception de Filippino Lippi, son élève, bien représenté dans l’exposition. Après sa mort, Botticelli tombe dans un certain oubli, avant d’être redécouvert au XIXe siècle, suscitant notamment l’admiration des préraphaélites et des artistes de l’Art nouveau.

L’accrochage mêle peintures célèbres et œuvres moins connues, certaines n’étant jamais sorties d’Italie, confrontant celles de Botticelli – toutes à destination privée, aucune œuvre d’église – à certaines d’autres peintres de la scène artistique florentine, Filippino Lippi mais aussi Piero di Cosimo ou Léonard de Vinci. Le fil conducteur de cette exposition étant, selon Daniel Arasse, co-commissaire avec Pierluigi de Vecchi, « la mise en évidence d’une continuité subtile dans l’œuvre », en étudiant les différentes périodes de l’artiste, à la lumière de ses contemporains et du contexte de la Florence de la fin du Quattrocento. Après « Raphaël, grâce et beauté », immense succès public mais grande déception sur le plan du contenu comme de la scénographie – très peu d’œuvres du maître, des reconstitutions au goût douteux –, les commissaires de « Botticelli » ont pris cette fois-ci le parti de la sobriété et ont privilégié la lisibilité des œuvres, avec un éclairage diurne, évitant le piège trop fréquent de la présentation dans l’obscurité, qui n’aurait pas convenu à la peinture lumineuse de Botticelli.

L'exposition

L’exposition « Botticelli, de Laurent le Magnifique à Savonarole » est ouverte du 1er octobre 2003 au 22 février 2004, les lundi, vendredi, samedi et dimanche de 11 h à 22 h 30, les mardi, mercredi et jeudi de 11 h à 19 h. Plein tarif : 9 euros, tarifs réduits : 6 euros et 4 euros. Réservations tél. 0892 68 46 94 et www.expobotticelli.com PARIS, musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, VIe, tél. 01 42 34 25 95, www.museeduluxembourg.fr L’exposition sera ensuite présentée à Florence, au Palazzo Strozzi, du 10 mars au 4 juin 2004.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Botticelli,peintures privées

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