Art contemporain

Peinture

Botero entre avant-garde et classicisme exotique

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 761 mots

Le Musée Würth exhibe la peinture de l’artiste colombien, dont les voluptueuses formes expriment autant la satire qu’une forme de mélancolie.

ERSTEIN - Les nombreux bambins en visite scolaire au Musée Würth sont impressionnés par les grosses dames et les gros messieurs qui occupent les toiles de Fernando Botero. Impressionnés mais également séduits par ces personnes à la taille disproportionnée, peints de couleurs fraîches. Peut-être, comme le suggère Marie-France Bertrand, la directrice du lieu, les figures de l’artiste s’accordent avec la vision enfantine, période où tout adulte semble être un géant. Est-ce la raison pour laquelle les spectateurs qui déambulent dans les salles affichent souvent un sourire face aux paysans, aux religieux, aux militaires ou aux prostituées, tous d’une corpulence démesurée ? Attachants, un peu gauches, souvent dans une position frontale, ces êtres sont immobiles, figés même. Résistant à toute investigation psychologique, ils ont l’apparence d’acteurs sur une scène mais avant ou après la représentation. Acteurs aux dons limités toutefois, car ils partagent la même expression détachée au point de donner l’impression d’avoir des apparences physiques proches. Ainsi, la différence principale entre Le Président, qu’on trouve à l’entrée de l’exposition parmi d’autres personnages caractéristiques de l’Amérique latine et les fiers toreros dans la salle suivante se résume à leur costume (ou déguisement ?). Comme l’écrit dans un beau texte Mario Vargas Llosa, contrairement à l’expression consacrée, ici l’habit fait le moine.

Ce choix est assumé par Botero qui déclare : « Le portrait est une limitation. Il impose une anatomie singulière. Ce sont les types qui m’intéressent. ». Au risque d’une certaine répétition ?
Paradoxalement, c’est dans la section la plus « torride » – interdite aux moins de 14 ans, c’est dire – la « Boterosutra », une longue série de tableaux et de dessins érotiques que cet aspect est le plus frappant. Alignés, des couples dans des poses à géométrie variable, pratiquent l’acte amoureux sans dégager la moindre émotion. Impassibles, les yeux grands ouverts, ils sont peut-être l’un dans l’autre mais pas l’un avec l’autre. Tout laisse à croire et l’artiste le confirme, que plus qu’illustrer la passion, il s’agit de montrer la beauté des corps réunis. Au milieu de cette orgie contrôlée, trois petites sculptures en marbre blanc sur le même thème, un rappel au visiteur de la technique qui a fait la notoriété de l’artiste colombien.

Figuration épurée et simplifiée
Cette reconnaissance Botero la doit à un style singulier, pratiquement sa marque de fabrique. De fait, l’artiste a inventé une manière d’hybrider la peinture classique avec celle pratiquée dans son pays, la Colombie ou plus généralement l’Amérique latine. Autrement dit, conjuguer réalisme et magie ou plutôt une forme de surnaturel.

Loin de cacher ses sources, il les montre clairement à travers une série de toiles exposées ici, des copies-interprétations d’après les maîtres de la Renaissance italienne (Giotto, Raphaël) mais aussi Velázquez ou Ingres. C’est dans les années cinquante que Botero fait ce choix d’une peinture figurative pour laquelle il acquiert un savoir-faire important grâce à un apprentissage à Florence. « Recyclée », « gonflée » la ménine de Velázquez aux contours méticuleusement peints, sans la moindre bavure, se transforme ici en une matrone sud américaine, une figure parmi d’autres dans le répertoire du peintre colombien (After Velázquez, 2000).

Ce classicisme exotique divise. Adulé par le grand public, Botero ne jouit pas franchement des faveurs des critiques d’art. Dans ce débat, l’écrivain Mario Vargas Llosa estime que pratiquer le figuratif au moment où l’abstraction triomphe montre qu’une « attitude, d’apparence conservatrice, était en réalité non conformiste ». Argument discutable, car par un tour de passe-passe il abolit toute distinction entre l’avant-garde et le classicisme.

À l’opposé, il est paradoxal que la même critique qui snobe Botero puisse tresser des lauriers à l’éclectisme, au bad painting ou au pop kitsch. Les avis restent partagés. Curieusement, la partie la plus originale de cette œuvre n’est peut-être pas la figure humaine mais la nature morte, bien représentée à l’exposition.

Ces objets silencieux, trouvent leur expression la plus étonnante quand ils sont placés sur le bord d’une fenêtre entrouverte sur le monde extérieur. Avec Nature morte sur un balcon, les oranges monumentales sont posées sur une table recouverte d’une nappe dont les plis semblent faits de pierre. Derrière, une bouteille imposante est comme un filtre à travers lequel on voit quelques toits de maisons de taille réduite et un bout de mer minuscule. Deux univers disproportionnés, à part, que seule une œuvre d’art peut réunir sur la même surface, mais qui restent néanmoins étrangers.

Botero

Commissaire : Claire Hirner
Œuvres : 100

Fernando Botero

Jusqu’au 15 mai, Musée Würth, Z.I, rue George Besse, 67158 Erstein, tél 03 88 64 74 88, www.musee-wurth.fr, mardi-samedi 10h-17h, dimanche 10h-18h, entrée 6 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Botero entre avant-garde et classicisme exotique

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