Art contemporain

Bonheurs et tourments d’exils parisiens

Musée de l’histoire de l’immigration, Paris-12e - Jusqu’au 22 janvier 2023

Par Olympe Lemut · L'ŒIL

Le 25 octobre 2022 - 502 mots

L’exil et l’immigration constituent des expériences fondatrices, mais jusqu’où influencent-ils la création artistique ? L’exposition présentée au palais de la Porte Dorée apporte une réponse flamboyante à cette question épineuse.

De 1945 à 1972, Paris est une ville monde peuplée d’artistes des cinq continents, au point qu’il y avait « environ 60 % d’étrangers parmi les artistes parisiens à cette époque », explique Jean-Paul Ameline, commissaire de l’exposition « Paris et nulle part ailleurs ». Celui-ci a choisi de rassembler les œuvres par sections thématiques centrées sur trois ou quatre artistes. Un choix qui peut surprendre, tant certains artistes peuvent figurer dans plusieurs sections à la fois. Cependant, la qualité des œuvres et leur décryptage font rapidement oublier ce parti pris. De l’exil forcé d’Arroyo pendant la guerre civile espagnole à celui de Seguí sous la dictature argentine, le déplacement n’efface pas la patrie d’origine. Dans une vidéo diffusée dans l’exposition, Antonio Seguí confesse ressentir « une double appartenance permanente », même s’il ne se sent pas « déraciné à Paris ». Eduardo Arroyo, lui, peint des toreros et des drapeaux français, tout en restant « obsédé par l’Espagne », comme le rappelle le commissaire. Si l’exil est temporaire, c’est alors le contexte social qui nourrit les œuvres : pour Hervé Télémaque, Haïti reste une possibilité de repli lorsque le racisme français lui saute à la figure, avec, par exemple, les publicités Banania qu’il détourne dans ses collages. Deux magnifiques sculptures montrent que l’abstraction européenne a aussi influencé Télémaque. Pour Jean-Paul Ameline, la question esthétique reste centrale, comme dans les belles toiles de Zao Wou-Ki où « les signes n’ont plus de signification, contrairement à la calligraphie chinoise ». L’influence des expressionnistes américains ressort ici clairement. De son côté, Joan Mitchell met plus de temps à adopter cette « hybridation esthétique », d’autant que l’artiste détestait Paris : l’environnement influence toujours la création, mais jamais instantanément. Moins connu, le Sénégalais Iba N’Diaye a tenté de fondre dans ses toiles sa culture africaine avec « des influences issues de la peinture classique flamande », selon Jean-Paul Ameline : ce choix a entraîné une rupture entre N’Diaye et Senghor à l’époque. Le Cubain Wifredo Lam et le Marocain Ahmed Cherkaoui ont également tenté de créer une nouvelle modernité à partir de leur culture d’origine, intégrant au passage les leçons des avant-gardistes comme Picasso. Le monde parisien peut s’avérer hostile et inquiétant pour certains artistes, à l’instar des personnages dévorés par les machines peintes par l’Islandais Erró, des sculptures monstrueuses du Japonais Tetsumi Kudo ou des « tableaux pièges » du Roumain Daniel Spoerri. Mais Paris donne aussi naissance à un art « universel », selon les termes de Vasarely, qui voulait diffuser son art dans la société et la vie quotidienne. Cruz-Diez, Vasarely et Le Parc apparaissent ici révolutionnaires, leur art brouillant les pistes grâce à des œuvres cinétiques immersives. C’est le cas au Musée national de l’histoire de l’immigration où le public peut pénétrer dans plusieurs œuvres historiques et apprécier leur qualité esthétique et politique. L’exposition rappelle ainsi l’importance du territoire où créent les artistes, à l’heure où la globalisation favorise une hybridation générale.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°759 du 1 novembre 2022, avec le titre suivant : Bonheurs et tourments d’exils parisiens

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