Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

Boldini, un moderne ignoré

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2022 - 859 mots

PARIS

Ce peintre virtuose, célèbre au début du XXe siècle et méconnu aujourd’hui, a inventé un style et n’est pas resté sans postérité.

Paris. S’il était né un siècle plus tard, Giovanni Boldini (1842-1931) n’aurait sans doute pas échappé au mouvement #metoo. Son ami, le caricaturiste Sem, a dit de lui : « Quand il peignait une très jolie femme (c’était fréquent), Boldini entrait en transes, il ne se possédait plus. […] Tirant la langue[…], il bégayait, baragouinait des appellations confuses et balbutiait en bas argot de Ferrare – des moumounas, des foufounas–, cajoleries d’amant échauffé ou de nounou italienne dévorant à gros bécots son bambino. Alors, il prenait une figure de gargouille, il était effrayant. […] Le modèle fuyait, éperdu et riant, car il était petit et peu dangereux. » Dans ses Souvenirs intimes : écrits pour Picasso (éd. Calmann-Lévy, 1988), Fernande Olivier se montrait moins indulgente. Elle a posé pour lui : « Une seule fois ! car dans la crainte d’avoir à recommencer à subir ses attaques, je ne me suis jamais aventurée de nouveau chez lui. » La jeune modèle professionnelle ne possédait pas le sang-froid qu’affectait ce monde luxueux et décadent dans lequel évoluait l’artiste et qu’on appelait, à la Belle Époque, le « high life ».

L’exposition, qui réunit près de 150 œuvres et documents sous le commissariat de Servane Dargnies-de Vitry et Barbara Guidi, montre un échantillonnage de ces portraits dans lesquels se conjuguent la sensualité de la fashionista et celle du peintre. À partir de 1900, celui-ci développe, dit encore Sem, « son style flamboyant… un peu trop. Voyez autour de ces figures de femmes ce jaillissement dans le vide, ce foisonnement, cet embrouillamini de coups de pinceau. […] Par ses fonds embrouillés et vibrants, il créait une atmosphère fiévreuse, mouvementée, et donnait ainsi l’illusion de la bougeotte et du tourbillon mondains. Il vous en fichait, si j’ose dire, plein la vue. » Cette rétrospective démontre que ce style si reconnaissable, qui a lassé jusqu’aux admirateurs du peintre, était le fruit d’une intense recherche artistique.

Le goût pour la scène de genre et la caricature

Initié au dessin par un père peintre, formé à Florence où il fréquente l’avant-garde italienne des Macchiaioli (tachistes), ainsi que la maison du peintre Marcellin Desboutin qui reçoit entre autres Edgar Degas, le jeune homme sait très tôt que sa sociabilité, sa virtuosité et son talent pour le portrait lui ouvriront des portes. Après un séjour en Angleterre, il décide de s’installer en France. Arrivé à Paris en octobre 1871, il fournit à la maison Goupil les petites peintures de genre d’une grande précision dans le détail qu’affectionne le public international et s’insère très vite dans le monde artistique, fréquentant Manet qu’il admire.

Ce qui l’intéresse, c’est la vie moderne. L’animation des rues le jour comme la nuit, l’omniprésence des chevaux, l’actualité musicale qu’il suit attentivement lui donnent des sujets qui le rapprochent de Degas avec lequel il est lié. Le pastel Spectateurs au théâtre (vers 1885) ou la composition de La Cantatrice mondaine (vers 1884) tiennent beaucoup de celui-ci. L’Italien se distingue cependant par son goût pour la scène de genre et la caricature. En témoignent Le Cocher, un petit tableau redécouvert récemment et peint sans doute en 1880, ainsi que ses recherches pour rendre le mouvement. Dans Nocturne à Montmartre (vers 1883), de grands traits et cercles suggèrent la rapidité de l’attelage qui passe au premier plan. Les Amoureux au café (vers 1887) traduisent l’agitation de la vie nocturne par un arrière-plan confus et presque illisible, les grands coups de pinceau formant la robe de la jeune femme et la main nerveuse, presque difforme, dont est doté l’homme. Encore gardés au secret dans l’atelier, tous les éléments sont en place pour construire le vocabulaire qui fera le succès des grands portraits mondains.

Un mouvement surpris au vol

Boldini, qui a toujours pratiqué le genre, présente Le Peintre John Lewis Brown avec sa femme et sa fille (1890) au Salon. Audacieux par sa composition décentrée qui donne un effet d’instantané, ce portrait de groupe est remarqué. L’artiste adopte ensuite fréquemment ce parti du mouvement surpris au vol. C’est le cas dans le Portrait du comte Robert de Montesquiou (1897) et plus encore dans le Portrait de Georges Goursat, dit Sem (1902) : le fond parsemé de coups de brosse donne l’impression que le caricaturiste entre dans un courant d’air. En 1892-1895, Feu d’artifice [voir ill.]montre une femme environnée de traits blancs. Le summum du genre est atteint par La Marquise Luisa Casati avec des plumes de paon (1911-1913), d’une grande audace.

Cette première rétrospective française depuis soixante ans permet de découvrir nombre d’œuvres qu’il gardait pour lui, par exemple une Marine à Venise (1909) et une scène de bal intitulée En soirée (1911), presque abstraites. Les musées italiens exposent régulièrement Boldini en montrant, parallèlement à ses œuvres, celles de ses prédécesseurs qui l’ont inspiré ou de ses successeurs figuratifs – tel Matisse. On peut penser qu’il a également ouvert la voie à Georges Mathieu. Né en 1921 dans une famille de banquiers, celui-ci a grandi dans un milieu où l’on se souvenait des œuvres de l’Italien qui, d’une certaine façon, ressortissent de l’abstraction lyrique.

Boldini. Les plaisirs et les jours,
jusqu’au 24 juillet, Petit Palais-Musée des beaux-arts de la Ville de Paris, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Boldini, un moderne ignoré

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque