Art moderne

ART BRUT

Berne célèbre un pionnier de l’art brut

BERNE / SUISSE

Deux expositions bernoises rendent hommage à un artiste singulier de l’art brut, Adolf Wölfli, pensionnaire d’un asile local d’aliénés.

Berne (Suisse). Voir des œuvres d’Adolf Wölfli à Berne a une résonance particulière, car c’est précisément là que le récit de l’art brut a commencé à s’écrire. Quand le peintre Jean Dubuffet, qui a forgé l’expression, en Suisse, en 1942, en compagnie du Corbusier, il ne manque pas de rendre visite aux praticiens pionniers qui associaient psychiatrie et art : le docteur Charles Ladame à la clinique Bel-Air à Genève, mais surtout le professeur Walter Morgenthaler à Berne.

Psychiatre à l’asile de la Waldau, Walter Morgenthaler s’intéresse de près à la créativité de ses patients et l’encourage, convaincu de l’effet thérapeutique de l’art. Mieux, il collectionne leurs créations. Parmi eux, Adolf Wölfli (1864-1930). L’ouvrage que le chef de la clinique publie au sujet de ce dernier en 1921, et aujourd’hui réédité 100 ans plus tard, par la Fondation Adolf Wölfli à l’occasion de ces expositions, est un modèle du genre. Ein Geiteskranker als Künstler [Un malade mental artiste] est la première étude monographique consacrée à un « fou artiste ». Elle représentait comme l’explique le commissaire d’exposition et conservateur Hilar Stadler « une affirmation audacieuse » pour son époque. Le psychiatre bernois reconnaissait en Wölfli, l’ancien garçon de ferme de l’Emmental, autodidacte et schizophrène, la stature d’un authentique artiste.

Ainsi, une sélection de cette collection d’art brut du psychiatre, comprenant près de 6 000 œuvres, est présentée au Musée de la psychiatrie de Berne. Il manque encore aujourd’hui des fonds à ce modeste musée universitaire pour y développer une présentation permanente à la hauteur de l’importance de cet ensemble historique – à l’image de la Collection Prinzhorn, visible dans un musée à Heidelberg (Allemagne) depuis 2001, grâce au mécénat de la Fondation Volkswagen.

Sont aussi exceptionnellement présentés les fragments de plafond peints et dessinés de la cellule d’Adolf Wölfli à la Waldau où il vécut pendant 30 ans. Jusqu’alors exposés dans les amphithéâtres de la clinique psychiatrique, ils sont montrés à nouveau au public pour la première fois depuis 40 ans. On y retrouve toutes les caractéristiques de son travail sur papier : cette densité presque étouffante de motifs, cette composition ordonnée et démultipliée en encadrements et bordures, ces énigmatiques figures masquées ou couronnées de plumes et ces phrases apposées tels des phylactères.

La vie rêvée de Wölfli

À quelques kilomètres de là, au centre Paul Klee de Berne, c’est justement ce dernier aspect de la création de Wölfli qui est mis au cœur de l’exposition « Géante = Création ». Pour une fois, les vitrines installées au milieu de la grande pièce d’exposition en sous-sol volent la vedette aux accrochages de dessins sur les cimaises : y sont exposés les écrits littéraires de Wölfli, ceux que l’artiste considérait, à côté de ses dessins ou peintures et de ses compositions de musique, comme son œuvre majeure. Ces cahiers qui ne peuvent, en principe, pour des raisons de conservation, faire l’objet de prêts ou d’expositions, et auxquels Wölfli travailla 22 ans durant entre 1908 et sa mort en 1930, avec très peu d’interruptions, s’offrent au regard.

Reliés dans des folios grand format, entrecoupés d’illustrations, de partitions de musique, de poèmes ou de collages, ces textes font le récit d’une vie idéalisée. On y croise des cartes géographiques réinterprétées – comme celle de Cambridge –, des observations de type géographique ou naturaliste. Fiction et réalité s’entremêlent dans ce carnet de voyage, un voyage mental pour celui qui ne quitta jamais le canton de Berne et qui s’était construit un monde imaginaire : « la géante création de saint Adolphe », comme il l’appelle lui-même.

Il faut reconnaître, avec Hildar Stadler, que, 100 ans après, « cette œuvre d’une grande puissance poétique continue de nous toucher aujourd’hui encore » . Un fait que le commissaire d’exposition n’hésite pas, à tort ou à raison, à hisser en un porte-étendard de la diversité : « Cette exposition se veut un plaidoyer en faveur de ce qui est marginal et extra-ordinaire, des caractéristiques qui, dans un monde de plus en plus normé, ne trouvent plus guère de place. »

Fragments,
jusqu’en février 2022, Musée de la psychiatrie, Bolligenstrasse 111

Géante = Création. Le monde d’Adolf Wölfli,
jusqu’au 15 août, Centre Paul-Klee, Monument im Fruchtland 3, 3000 Berne, Suisse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Berne célèbre un pionnier de l’art brut

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