Art contemporain

Baselitz, Richter, Kiefer, Polke, l’éveil d’une mémoire enfouie

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2019 - 543 mots

STUTTGART / ALLEMAGNE

Le musée de Stuttgart réunit les œuvres d’artistes en quête de vérité sur l’Allemagne d’après-guerre et devenus incontournables.

Stuttgart. Le titre, « Les premières années des maîtres anciens », peut induire en erreur. Le spectateur, qui connaît l’étendue de la splendide collection du musée de Stuttgart, peut croire à une présentation de Dürer, Holbein ou Cranach.

Mais, les « vieux maîtres » en question sont tous – hormis Sigmar Polke – bien vivants. Cependant, l’importance qu’a prise la peinture allemande et la présence de Gerhard Richter, de Georg Baselitz ou d’Anselm Kiefer dans toute institution qui se respecte font que ces derniers appartiennent déjà au patrimoine allemand. Et pourtant, à leurs débuts, ils se heurtaient violemment au paysage esthétique. Rappelons toutefois que l’Allemagne en question est celle de l’Ouest, où le « miracle économique » des années 1950 fait naître une société de consommation, qui cherche à tout prix à faire table rase d’un passé qui reste insupportable. Ainsi, sous prétexte de modernité, l’abstraction, qui domine le paysage artistique, est une manière de refouler un passé lourd. Les artistes réunis à Stuttgart sont les représentants d’une génération d’artistes allemands nés pendant ou quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, profondément marqués par un sentiment de culpabilité face à leur histoire. Leur peinture, figurative, a exprimé une menace pour une mémoire collective qui ne cherchait alors qu’à s’effacer.

La stratégie de l’excès

Ici, le dialogue avec le passé commence par le célèbre tableau de Baselitz La grande nuit dans le seau (1963), où l’on voit un gnome hideux, le sexe disproportionné dressé vers le spectateur, en train de se masturber. Qualifiée d’obscène et de pornographique, la toile a fait scandale. Cette façon de l’artiste de « se décharger » sur la surface peinte provoque la morale bourgeoise d’une société allemande qui s’interdit tout excès. Plus tard, empruntant à l’imagerie allemande traditionnelle, Baselitz s’attaque aux symboles glorieux de l’histoire germanique, entachés pour toujours par la propagande nazie. Puis, c’est le geste provoquant, choquant de Kiefer – se prenant en photo en train de faire le salut nazi dans de grandes villes d’Europe – et qui, par la suite, reprend la même attitude dans des tableaux d’un kitsch volontaire (Heroic ­Symbol II, 1970, [voir illustration]).

La démarche de Richter et de Polke est plus discrète, mais non moins ­efficace. Ensemble, ils lancent à Düsseldorf un courant nommé « Réalisme capitaliste », une version ironique et critique du réalisme artistique mâtiné de pop art. Ces images floues, en gris délavé, semblent sortir d’un album contenant les clichés souvenirs d’un bonheur quotidien (Famille à la mer, Richter, 1964). Souvenirs qui font oublier que dans la même famille, le passé de l’oncle est plus que suspect (l’emblématique Onkel Rudi de 1965). Si la présence de Richter ici, comme d’ailleurs dans l’ensemble des musées allemands, est un peu écrasante, l’exposition permet de constater la qualité de la peinture de Polke. Ce dernier, qui expérimente très tôt des techniques et des styles différents, met en scène, avec une justesse qui n’a rien à envier à Andy Warhol, les objets les plus stéréotypés de la société allemande (Sausages, 1964). L’ironie, le kitsch, la fausse nostalgie, le renversement du motif… tous ces procédés illustrent avant tout la phrase de ­Kiefer : « L’histoire pour moi est un matériau comme le paysage ou la couleur. »

Les premières années des maîtres anciens, Baselitz, Richter, Polke, Kiefer,
jusqu’au 11 août, Staatsgalerie, Konrad-Adenauer-Str. 30-32, Stuttgart (Allemagne).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Baselitz, Richter, Kiefer, Polke, l’éveil d’une mémoire enfouie

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