Au pays de Van Gogh un boulevard Hoffmann

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 23 juin 2014 - 1760 mots

La puissante famille suisse, héritière
de l’entreprise pharmaceutique F. Hoffmann-La Roche, est installée depuis plusieurs générations dans l’antique cité d’Arles qu’elle ambitionne de transformer en capitale mondiale des arts. Une capitale qui sait déjà compter sur un festival de photographie international et des musées de référence.

Cet été arlésien devrait être plus paisible pour Maja Hoffmann, silhouette discrète et familière des lieux. La Fondation Van Gogh, créée par son père Luc Hoffmann et dont elle préside la direction artistique, a ouvert ses portes le 5 avril dernier. Les incertitudes quant à l’implantation au parc des anciens ateliers SNCF de la fondation Luma qu’elle a créée il y a dix ans à Zurich se sont levées les unes après les autres. Après avoir rejeté en 2011 le premier projet de tour olympienne hérissée d’acier de l’architecte canadien Frank Gehry, la Commission nationale des monuments historiques a avalisé la seconde mouture tandis que le Conseil régional cédait cet hiver à l’héritière de l’entreprise pharmaceutique Hoffmann-La Roche les onze hectares du parc des ateliers et ses bâtiments, levant ainsi le dernier obstacle à la création de son projet de vaste campus culturel et artistique interdisciplinaire.

Les déclarations virulentes du directeur des Rencontres de la photographie d’Arles, François Hébel, contre l’implantation globale de la Fondation Luma sur ce site industriel en friche qu’il fut le
premier à investir pour son festival, appartiennent également au passé, tout autant que la levée de bouclier à ses côtés du président des Rencontres, Jean-Noël Jeanneney, et d’une partie de son conseil d’administration dont font partie ses fondateurs, le photographe arlésien Lucien Clergue et l’historien Jean-Maurice Rouquette. Le départ programmé de François Hébel à la fin de l’édition 2014, après sa démission annoncée en 2013 à la suite du refus du ministère de la Culture et des élus locaux de le suivre dans son contre-projet de création d’un centre mondial de la photographie, et la nomination en avril de Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée, pour lui succéder, annoncent d’ailleurs une autre ère pour le festival.

La quinzième fortune européenne
Il est vrai que le rapport de force dans lequel s’étaient lancés ceux qui ont fait d’Arles « le » grand rendez-vous international de la photographie avait peu de chance de se conclure en leur faveur face à la puissance financière, à l’obstination et à l’autorité de Maja Hoffmann, soutenue dès le début par les élus locaux bien résolus à ne pas laisser filer une si belle opportunité de développement économique et touristique du territoire. L’investissement engagé rien que pour la construction de la tour de Gehry, 150 millions d’euros, est à la hauteur de sa fortune liée aux revenus du groupe pharmaceutique créé par l’arrière-grand-père de Maja, Fritz Hoffmann-La Roche (1868-1920). En 2013, les gains totaux du seul portefeuille des membres du pool familial Hoffmann et Oeri, actionnaires à 50,1 % du groupe ont été de 5,4 milliards de francs suisses (4,118 milliards d’euros) selon Bilan, mensuel économique de référence qui, dans son classement des 100 plus grandes fortunes d’Europe, place la famille Hoffmann et Oeri au 15e rang européen et au 1er rang en Suisse. « J’ai souhaité développer ce projet à Arles car je désire que les premiers bénéficiaires en soient les Arlésiens. J’ai grandi ici ; j’avais quinze jours quand je suis arrivée en Camargue », a rappelé Maja Hoffmann lors de la pose de la première pierre de la Fondation Luma le 5 avril dernier, couplée avec l’inauguration la veille de la Fondation Van Gogh où toute la famille Hoffmann venue de Suisse, de Londres et de New York s’était retrouvée au complet pour un week-end de festivités et de discours. Avec en figure tutélaire Luc Hoffmann (né en 1923 à Bâle), le père qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a préféré la sauvegarde de la Camargue aux commandes du géant de l’industrie pharmaceutique Hoffmann-La Roche, qui règne sur le marché des vitamines et des anxiolytiques.

Si l’engagement dans la création contemporaine de Maja Hoffmann est régulièrement mis en écho avec celui de sa grand-mère, la mécène et collectionneuse bâloise Maja Hoffmann-Stehlin (1886-1989), Maja Hoffmann est indissociable de son père Luc et de son coup de foudre pour la Camargue, où ce passionné d’ornithologie a acquis en 1947 le domaine de la Tour du Valat, berceau d’un centre de recherche sur l’ornithologie et les zones humides de renommée internationale. Et première grande action aussi en faveur de l’environnement de cet homme discret cocréateur du Fonds mondial pour la nature (WWF), du parc naturel régional de Camargue et de la convention internationale de Ramsar pour la conservation des zones humides. C’est dans ce paysage de marais et de taillis du delta du Rhône que cet homme discret a choisi d’élever avec sa femme, la comtesse Daria Razumovsky (1925-2002), leurs quatre enfants, Vera Michalski (1954), Marie-Anne (Maja, 1956), André (1958) et Dashenka. Aucun des enfants Hoffmann n’a oublié ces années-là.

Une famille bien intégrée à la société arlésienne
Si Zurich, Gstaad, Bâle, Londres et New York forment aujourd’hui d’autres points d’ancrage importants pour Maja Hoffmann – Londres en particulier où ses enfants sont scolarisés –, la nature camarguaise a été son premier terreau, et Arles le cadre de sa scolarité jusqu’à l’entrée au lycée. Luc Hoffmann et sa fille Maja ne sont donc pas des inconnus pour les élus, ni pour les acteurs culturels de la ville qu’ils ont souvent accompagnés discrètement dans certains de leurs projets ou développements. Sans le financement de Luc Hoffmann, qui entrera treize ans plus tard dans l’association, l’Association pour la création de la Fondation Van Gogh, initiée en 1983 par Yolande Clergue, ne serait jamais devenue une fondation. Elle n’aurait pas pu non plus envisager d’investir 12 millions d’euros pour transformer l’ancienne succursale de la Banque de France en un musée contemporain, pas plus qu’elle n’aurait eu les moyens de passer un accord avec le Musée Van Gogh d’Amsterdam pour disposer de tableaux du maître hollandais, visibles cet été.

Si le photographe Lucien Clergue a été dans les années 1970-1980, avec Jean-Maurice Rouquette, parmi les premiers à ancrer la vie culturelle de la cité antique dans son temps et à apporter un autre éclairage à leur ville via le Musée Réattu et les Rencontre d’Arles, c’est aujourd’hui Maja Hoffmann qui la propulse, l’élargit à d’autres dimensions et d’autres familles d’artistes et de curateurs. L’imposant bâtiment-phare de Frank Gehry qui dominera la ville en 2018 devrait devenir le nouvel emblème de la ville, à l’instar du spectaculaire Musée Guggenheim de Bilbao pour la cité basque. La direction de la Fondation Van Gogh de son côté, dont elle préside le conseil artistique, éclaire sur son positionnement et ses choix en matière d’art contemporain comme les développe depuis deux ou trois ans la programmation de la Fondation Luma au Parc des Ateliers, préfiguration de l’esprit des lieux que ce soit l’an dernier avec Wolfgang Tillmans curaté par Beatrix Ruf (ex-directrice de la Kunsthalle de Zurich jusqu’à sa nomination en avril dernier au Stedelijk Museum d’Amsterdam) ou, cette année, l’exposition « Solaris Chronicles », ballet de maquettes de Frank Gehry ordonnées sur une composition de Pierre Boulez par les artistes Tino Sehgal, Liam Gillick et Philippe Parreno. Car Maja Hoffmann importe avec elle en Arles les artistes et les curateurs qui l’entourent dans le cadre des actions de sa Fondation à Zurich ou à Gstaad. Bice Curiger, commissaire du Kunsthaus de Zurich de 1993 à 2013, qui dirige la Fondation Van Gogh, est une complice de longue date de Maja Hoffmann comme le sont Beatrix Ruf, Hans-Ulrich Obrist, codirecteur de la Serpentine à Londres, Philippe Parreno et Tom Eccles, directeur du Center for Curatorial Studies à Bard College (New York), têtes pensantes du futur campus artistique et culturel de la Fondation Luma.

Arles, future capitale culturelle mondiale
Le volet contemporain de l’exposition « Van Gogh Live ! », conçue par Bice Curiger, reflète lui-même d’autres liens tissés avec des artistes tel Thomas Hirschhorn, qui fut l’hôte du Palais de Tokyo en juin. Yolande Clergue peut regretter que ni dans le bâtiment de la Fondation Van Gogh ni dans l’exposition ne soient rappelées les origines de la fondation ou montrées l’une des pièces de la collection d’œuvres que lui ont données des artistes, photographes, écrivains et poètes, comme David
Hockney ou Claude Viallat, Arles n’ayant d’yeux que pour ce qu’a entrepris Maja Hoffmann. « Ce qui se joue à Arles dans les cinq, six années à venir est énorme », souligne Sam Stourdzé, le futur directeur des Rencontres d’Arles. On se retrouvera dans une ville de 54 000 habitants dont l’offre culturelle par habitant sera la plus importante d’Europe, voire du monde. » De fait, Arles n’est pas Bilbao, elle est une cité déjà bien dotée en sites romains, en musées de référence avec le Musée départemental Arles antique et le Musée Réattu, en galeries et associations culturelles aussi, au premier rang desquelles l’Association du Méjan fondée en 1984 par Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen des éditions Actes Sud, connue pour sa programmation à l’année de concerts et d’expositions de grande qualité. L’École nationale supérieure de la photographie et Supinfocom, école de cinéma d’animation, constituent d’autres pôles de référence. « En 2013, les monuments et les musées ont attiré 700 000 visiteurs », rappelle le maire Hervé Schiavetti qui table, à terme, sur plus d’un million de visiteurs avec les fondations Van Gogh et Luma, vecteurs d’emplois et de revenus pour une ville dont un habitant sur deux ne paie pas d’impôt.

La parade des Rencontres

Pour sa dernière édition, François Hébel décline une programmation qui rappelle les amitiés entretenues avec Martin Parr, Raymond Depardon et Christian Lacroix en guest-stars cette année aux côtés de David Bailey, Joan Fontcuberta et Lucien Clergue auquel le Festival et le Musée Réattu consacrent une rétrospective. Si cette rétrospective prend tout son sens pour les 80 ans du créateur des Rencontres, on s’interroge sur le reste d’une programmation que l’on aurait pu imaginer plus audacieuse et ouverte dans ses choix, notamment sur le travail mené sur la France pendant plusieurs années par le collectif Territoire liquide dans le prolongement de la campagne photographique de la Datar. Bien que Léon Gimpel, Anouck Durand, Vik Muniz, Patrick Swirc et la vaste exposition d’Erik Kessel sur les photographes hollandais séduisent d’avance, il manque encore à cette édition une ligne claire et forte de programmation que vient enrichir une nouvelle fois l’Association du Méjan avec Chema Madoz et Michelangelo Pistoletto tandis que, pour la première fois, le prix Carmignac expose les photographies sur la Tchétchénie de son lauréat 2013, David Monteleone.

Les Rencontres d’Arles
Du 7 juillet au 21 septembre.
Dans divers lieux de la ville d’Arles. Tous les jours de 10 h à 19 h 30.
Une entrée par lieu pour toutes les expositions : 36 € (juillet-août) et 31 € (septembre).
Tarif par exposition : entre 3 et 12 € selon les lieux.
www.rencontres-arles.com

Fondation Van Gogh
ouverte le 5 avril 2104, 35 ter, rue du Docteur-Fanton, Arles (13).
Directrice artistique : Bice Curiger.
www.fondation-vincentvangogh-arles.org

« Van Gogh Live ! »
Exposition inaugurale. Jusqu’au 31 août. Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h.
Tarifs : 9 et 7 €.
Commissaire : Sjraar van Heugten.

Légende photo
VanGogh, La Maison Jaune [La Rue], 1888, huile sur toile, 72 x 91,5cm, Van Gogh Museum, Amsterdam. © van Gogh Foundation.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Au pays de Van Gogh un boulevard Hoffmann

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