Musée d'Orsay

Art Nouveau Revival

Le pouvoir des fleurs sur les « sixties » !

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 18 novembre 2009 - 1110 mots

Tombé en disgrâce, l’Art nouveau a fait son come back dans les années 1960. Devenu phénomène de société, ses formes rondes ont proliféré partout : dans la musique, le design, la publicité… Ce que nous montre, certes avec un peu trop de facilité, l’exposition « Art nouveau Revival ».

Parce que l’Art nouveau est autant Modern Style, Jugendstil, Modernisme, Liberty, traversant l’Autriche, la Belgique, l’Écosse ou la France, il peut supporter une orchestration polyphonique des héritages qu’il crée au fil des générations. L’exposition du musée d’Orsay s’est donc fait un plaisir de mettre en scène les revivals de ce mouvement hétérogène et international tout au long du XXe siècle dans cinq salles de la mezzanine.
   
    Ponctué ici d’une entrée de métro d’Hector Guimard et là d’un ensemble de Verner Panton, biomorphique et psychédélique à souhait, le parcours exalte des affinités formelles parfois un peu difficiles à suivre. Tout ce qui serait courbe, organique, pourrait se réclamer de la tutelle de l’Art nouveau, voilà en gros ce que la visite des salles s’emploie à esquisser rapidement.

Un jeu de contrepoints formels au détriment de l’histoire
Si l’entreprise de réhabilitation est historienne dans le somptueux catalogue, elle est plus empirique dans cette exposition chevillée à quatre dates : 1900 pour la pleine maturité, 1933 pour la première réhabilitation, 1966 en regard des premières affiches « psyché » et 1974, date ultime faisant référence à une commande passée par Yves Saint Laurent à Claude Lalanne.
   
    Elle se construit également suivant deux axes : l’Art nouveau appliqué et l’Art nouveau représenté. En début de parcours, on voit ainsi le travail de diffusion opéré par les surréalistes, Dalí en tête, pour exalter le potentiel onirique et étrange d’une hampe florale vue par Guimard et de la complexité des bâtiments de Gaudí. On sera plus étonné de voir rapatriés dans le même espace deux best-sellers du design du XXe siècle, la table basse In 50 d’Isamu Noguchi (1944) et le fameux vase Savoy sinueux du Finlandais Alvar Aalto (1936). La courbe a parlé. Elle fait loi dans cette démonstration formelle.
   
    À ce petit jeu, on tombe aussi sur des perles : les toiles hallucinantes de Clovis Trouille, deux miroirs de Gaudí aux courbes hypnotiques ou une mise en scène photographique de Dalí sortant du métro avec un tamanoir en laisse pour le compte de Paris Match.
   
    La deuxième salle pourrait presque constituer une parade. Encadré d’un bureau impressionnant de Carlo Mollino (1950), de la chaise rouge et biomorphique à souhait de Günter Beltzig, Floris (1967), ou des canapés Djinn d’Olivier Mourgue (1964-1965) qui servirent de décor dans 2001 : l’Odyssée de l’espace de Kubrick, un podium enchaîne des sièges et chaises comme une théorie darwinienne de l’évolution des espèces adaptée à l’art de l’assise. Les morceaux de bravoure rivalisent d’originalité  ; on passe ainsi de la chaise dite Escargot de Carlo Bugatti (1902) au fauteuil Éléphant rouge de Bernard Rancillac (1966), en passant par la DCW des Eames et ses élégants mouvements boisés.
   
    Mais sait-on vraiment si ces créateurs regardaient réellement du côté de l’Art nouveau lorsqu’ils se penchaient sur la conception de leur propre mobilier  ? C’est ce que l’on a parfois peine à comprendre. Sait-on, par exemple, si l’extravagant Allen Jones, auteur en 1969 d’une table en verre reposant sur le mannequin d’une femme à quatre pattes [voir p. 36] ou d’un siège tout aussi fripon à tendance SM, a puisé dans le répertoire convoqué en tutelle dans l’exposition ?
   
    La sous-thématique « Design organique » a parfois bon dos. Mais qu’on se rassure, dans cette histoire de mutations, de rattrapages, d’hommages et parfois de pillages, les rapprochements intuitifs, par écho des formes, offrent de belles perspectives malgré cette « souplesse » historienne.

Un phénomène de société trop rapidement esquissé
Évidemment, le parcours ménage une salle de réception au psychédélisme. Baignée de musique, elle sent le LSD et la langueur. Là aussi cohabitent et dialoguent « originaux » de Koloman Moser, le fameux Baiser de Peter Behrens ou Alfons Mucha [p. 33], et les affiches chargées de Wes Wilson ou Bonnie McLean, la pochette d’un album d’Herbert Léonard [p. 39]. On sera surpris de ne pas trouver dans ce panthéon du graphisme psychédélique l’affiche de Bob Dylan conçue par Milton Glaser, une icône du genre.
   
    Presque grisé par les volutes colorées et chargées des graphistes des sixties, il faut reprendre le fil de la démonstration avec la salle lourdement chargée intitulée « C’est à la mode ». Elle revient avec pertinence sur l’influence des expositions Mucha et Beardsley à Londres – de grands succès populaires – même si des vues de ces deux moments font cruellement défaut.
  
     L’Art nouveau comme phénomène de société est exposé avec une étonnante désincarnation. Pourtant, il s’agit du moment crucial où le courant voit ses chefs-d’œuvre passer dans le registre édulcoré du motif, du style. La dimension programmatique est largement passée au second plan. Le « d’après » fait fureur, pour le meilleur et pour le pire. On ne saurait que dire par exemple du retour du chignon « 1900 », des reportages de mode ou des décors d’Hibernatus avec Louis de Funès  !
Enfin, la dernière section consacrée au « Naturalisme » opère des mises en regard plus riches entre certains éléments mobiliers conçus par Claude Lalanne pour Yves Saint Laurent et Émile Gallé avec une incroyable Girandole de « coloquintes » de 1902. Le corps monstrueux d’une mouche dissimulant un cabinet d’aisance, signé par François-Xavier Lalanne en 1966, voisine un serpent en laine intensément coloré.
   
    Décoratif et design opèrent à l’époque un dialogue détonnant illustré dans cette dernière salle. Il révèle ce nouveau quotidien des années 1970, résolument fantasque, dandy et contestataire, et montre des intellectuels et des designers bien décidés à renouer avec un grand programme de vie. « Art nouveau Revival » retombe alors sur sa logique après quelques errements, mais prière de bien maîtriser son histoire de l’art !

Repères

1893
Naissance officielle de l’Art nouveau.

1933
Précoce reconnaissance par les surréalistes.

1954
Le designer Ettore Sottsass fait l’apologie du « Stile Liberty ».

1959
Exposition Art nouveau au MoMA (New York) et, l’année suivante, au Mnam à Paris.

1961
Premier record pour des pièces Art nouveau lors d’une vente parisienne.

1969
Malgré la reconnaissance de l’Art nouveau, destruction du Castel Henriette à Sèvres et de la Guimardière à Vaucresson.

1971
Exposition « Pionniers du XXe siècle : Guimard, Horta, Van de Velde » au musée des Arts décoratifs (Paris).

1974
Yves Saint Laurent commande à Claude Lalanne un décor d’inspiration végétale pour son salon de musique.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°619 du 1 décembre 2009, avec le titre suivant : Art Nouveau Revival

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