Histoire

Arras, mille ans d’histoire

Par Emmanuelle Vigier · L'ŒIL

Le 1 décembre 2003 - 716 mots

ARRAS

À ceux qui doutent encore de l’intérêt des fouilles de sauvetage et ne rêvent que de les réduire à la portion congrue, voilà une exposition qui vient à point nommé. 

Les débats houleux qui ont accompagné cette année la réforme de la loi sur l’archéologie préventive, votée sous la précédente législature, ont donné lieu à des généralisations hâtives à partir de cas malheureux. Or, l’expérience arrageoise montre qu’une opération menée en bonne intelligence entre les différents partenaires, et avec la participation active d’une collectivité territoriale, la communauté urbaine d’Arras en l’occurrence, produit non seulement des résultats d’un intérêt scientifique incontestable, mais permet aussi que le fruit de ces investigations soit montré rapidement au grand public.

Tout a commencé en 2000, lorsque BMW a projeté de construire une usine sur un vaste terrain situé à quelques kilomètres au nord-est d’Arras (Actiparc). Les sondages effectués sur une surface de trois cents hectares permettent de repérer quinze sites structurés dont cinq nécessitent, par leur importance, la réalisation de fouilles préventives. Malgré le désengagement du constructeur automobile, la communauté urbaine décide de réaliser l’opération, qui sera menée par son propre service archéologique, et l’Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap), en collaboration avec le service régional d’archéologie (SRA). Portant sur soixante-trois hectares, les fouilles ont mis au jour des vestiges s’échelonnant du Ve siècle avant J.-C. au Ve siècle de notre ère. Mais la plus intéressante peut-être et la plus spectaculaire de ces découvertes concerne la période gallo-romaine, à travers notamment un fortin construit peu de temps après la conquête. Il offre un témoignage unique sur le phénomène de romanisation de la Gaule, notamment par la transformation des structures préexistantes.

C’est à partir du IIIe siècle avant J.-C. que le site connaît une occupation structurée par un peuple celte connu sous le nom d’Atrébates. Le périmètre d’Actiparc était occupé par une résidence principale entourée de fermes de moindre importance, une organisation conforme à la hiérarchisation de la société rurale en ce deuxième âge du fer. Les bijoux ou la vaisselle retrouvés dans l’enclos de la demeure aristocratique ne sont pas les seuls signes de la position sociale et de la richesse de ses occupants. Un bronzier et un saunier étaient actifs au sein de l’enclos. La présence de ce dernier a jeté la perplexité parmi les archéologues. Comment expliquer la production de sel par bouillage de saumure alors que la mer se trouve à plus de cent kilomètres ? Deux hypothèses : soit l’utilisation de saumures récupérées, soit l’extraction du sel à partir de plantes halophiles (des algues par exemple).

La colonisation romaine vient bouleverser cette société celtique bien organisée sans remettre en cause la vocation agricole du site. Dans les années suivant la conquête (52 avant J.-C.), un poste militaire est construit sur ce territoire qui est restructuré selon un schéma ternaire (fortin, complexe agricole et artisanal, nécropole). À travers une telle organisation, les autorités romaines affirment leur souci de conjuguer les préoccupations stratégiques et économiques. Dans la région, d’autres établissements militaires ont été mis au jour, de la place forte d’Etrun, à dix kilomètres en amont de la Scarpe, à Arras, l’ancienne Nemetacum. Si un fort en bois de soixante-dix mètres de côté, bordé d’un fossé de cinq mètres de large, domine le site d’Actiparc, les fouilles ont mis en évidence d’autres structures complémentaires : entrepôts, habitat civil, ateliers. L’étude du matériel archéologique a permis de situer l’occupation du fort jusqu’au début du règne de Tibère. L’étude de quelque onze mille tessons et deux mille vases de la période tardo-républicaine (soit le début de l’occupation) montre la présence d’une vaisselle d’origine ou de tradition méditerranéenne exceptionnelle dans le nord de
la Gaule à cette époque. Une nécropole adjacente a, elle, livré un siège curule en fer, un signe de distinction sociale dont seuls deux autres exemplaires existent en Gaule. Cet objet, trouvé accompagné de dix vases de terre cuite, est issu d’une tombe du Ier siècle, qui était sans doute celle d’un officier ou d’un magistrat, responsable du domaine. Plus vaste fouille menée dans notre pays, l’opération Actiparc aura tenu ses promesses...

« Dans le sillage de César. Traces de romanisation d’un territoire : les fouilles d’Actiparc à Arras », ARRAS (62), musée des Beaux-Arts, 22 rue Paul Doumer, tél. 03 21 71 26 43, jusqu’au 4 janvier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Arras, mille ans d’histoire

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