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Après le Grand Louvre place à l’Hyper Louvre

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 7 novembre 2012 - 2360 mots

Le 12 décembre ouvre au public la première extension hors les murs du Musée du Louvre : le Louvre-Lens. Cet événement marque une nouvelle étape dans l’appétit gargantuesque de l’institution depuis le lancement, en 1981, du chantier du Grand Louvre. Tandis que la maison mère parisienne, elle, œuvre déjà à ses prochains projets...

Depuis quelques semaines, le Louvre enchaîne les grands rendez-vous. Le 22 septembre y était inauguré le nouveau département des Arts de l’Islam, aboutissement du plus grand chantier ouvert au musée depuis les travaux du Grand Louvre que symbolisa en 1984 l’édification de la pyramide de Pei dans la cour Napoléon. Le 11 octobre, « Raphaël, les dernières années », exposition réalisée en partenariat avec le Prado, s’avérait historique. En décembre, c’est au tour du Louvre-Lens de faire l’événement et de susciter intérêt, curiosité et émotions.

Après trois années de chantier, le discret et élégant bâtiment du cabinet d’architecture japonais SANAA révèle désormais aux yeux de tous cinq corps étirés, légèrement incurvés, réfléchissant lumière et paysages extérieurs. Dans un délicat camaïeu de gris et de blanc, verre, béton et parois en aluminium composent l’écrin d’un des plus audacieux et controversés projets de politique de décentralisation des musées nationaux, initié en 2003 par Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, et Jacques Chirac.

De la galerie du Temps, riche de deux cent cinq peintures, sculptures et objets d’art racontant cinq mille ans d’histoire de l’art, à l’exposition temporaire consacrée à la Renaissance, et qui développe d’autres chefs-d’œuvre du Louvre, se profilent les ambitions de la nouvelle institution à l’aune de celles de sa « maison mère ». Tout du moins de sa matrice originelle qui vit, dès le lancement du projet, « une modernisation de sa politique de dépôt et l’édification d’une nouvelle aile du Louvre », pour reprendre les termes de son président-directeur Henri Loyrette.

Le Louvre-Abu Dhabi et le réaménagement de la pyramide
L’an prochain, d’autres projets seront inaugurés ou lancés. Réouverture, au deuxième semestre 2013, des salles rénovées des Arts décoratifs du XVIIIe siècle et lancement de la restauration de la cour du Sphinx et du grand escalier que domine la Victoire de Samothrace. Début également de la rénovation des salles étrusques et romaines, et création, dans les anciennes salles dévolues aux arts de l’Islam, du département des Arts de Byzance et des chrétientés d’Orient dont l’inauguration envisagée pour 2016 portera à neuf le nombre de départements du musée.

Le réaménagement du hall d’accueil sous la pyramide, prévu à l’origine pour quatre millions de visiteurs, sera l’autre grand chantier entrepris afin d’assurer, outre de meilleures conditions de travail pour les employés, une qualité de service à la mesure des neuf millions de visiteurs du musée, chaque année de plus en plus nombreux, qu’ils soient étrangers (65 %) ou nationaux (35 %).

À l’international, ce sont d’autres engagements, en attendant l’ouverture en 2015 du Louvre-Abu Dhabi, qui font l’actualité. En particulier le partenariat entre le Louvre et le High Museum of Art d’Atlanta, le Crystal Bridges Museum of American Art à Bentonville et la Terra Foundation for American Art. Un accord qui prévoit un échange d’œuvres sur quatre ans et un ensemble de programmes scientifiques sur l’art américain entre 1780 et 1850, une manière aussi pour Henri Loyrette de faire entrer au Louvre l’art américain, champ encore sous-représenté dans les collections.

Ailleurs, la politique de coopération scientifique et culturelle liste chantiers de fouilles, expositions, formations et expertises en matière de restauration, muséographie, signalétique et services des publics, notamment au Proche et Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie centrale et en Inde.
Rien ne semble arrêter le plus grand musée du monde dans ses développements, dans ses appétits. « C’est dans les gènes du Louvre de se métamorphoser et d’être en perpétuelle avancée », déclarait Henri Loyrette lors de l’inauguration du département des Arts de l’Islam. Il est vrai que le musée, depuis sa création en 1793, n’a cessé de se développer, de s’épanouir à l’intérieur de son palais. Il reste qu’en trente ans, l’institution a connu plus de transformations, de réorganisations et de mutations qu’elle n’en a vécu durant près de deux siècles d’histoire.

En 1981, les débuts d’un Grand Louvre modernisé
« Le musée le plus mal tenu de tous les grands établissements », ainsi que le déplorait l’historien de l’art André Chastel à la fin des années 1970, appartient à une autre époque, comme le sentiment de vétusté des locaux et la sensation d’asphyxie que ressentaient ses conservateurs face aux collections qu’ils ne pouvaient suffisamment déployer. « Jusqu’au début des années 1980, beaucoup d’œuvres étaient en réserve », se souvient Michel Laclotte, ancien directeur du Louvre, qui dans son livre Histoires de musées, souvenirs d’un conservateur (Éditions Scala) se remémore également les conditions « effrayantes » d’accueil du public. « Tout était condensé dans la salle du Manège, vestiaire, toilettes, librairie, points de vente, espaces de réunion pour les groupes et pour la préparation des visites guidées... »

Il fallut le projet du « Grand Louvre », initié dès juillet 1981 par Jack Lang et annoncé officiellement deux mois plus tard par François Mitterrand qui en fit une affaire personnelle, pour engager le vieux palais dans une vaste campagne de rénovation et le musée dans le redéploiement de ses collections grâce au départ du ministère des Finances de l’aile Richelieu.

« Au titre des grands projets dont nous pouvons rêver pour Paris, il y aurait une idée forte à mettre en chantier : recréer le Grand Louvre en affectant le bâtiment tout entier aux Musées. En retrouvant son unité première, le Louvre deviendrait le plus grand musée du monde », écrivait le ministre de la Culture le 27 juillet 1981 au président de la République. « Bonne idée, mais difficile (par définition comme le sont les bonnes idées) », annota le Président en marge du document.

En effet, âpres furent les réticences du ministère des Finances à déménager à Bercy et sans merci les batailles autour de la construction de la pyramide de I. M. Pei dans la cour Napoléon jusque-là envahie de voitures. En vain, car, comme le souligne Henri Loyrette dans l’entretien qu’il accorde à L’œil,  l’État a toujours porté le développement du Louvre. L’octroi à cet effet, en 1992, « du statut d’établissement public en donnant une autonomie financière et administrative a été une autre décision importante dans l’histoire du musée », précise Michel Laclotte, qui avait pris soin par ailleurs de faire entériner « une clause impérative », tout aussi décisive dans l’évolution du Louvre. « Le directeur du musée, qui par décret devait être un conservateur, obtenait la présidence du conseil d’administration, affirmant ainsi l’autorité scientifique et administrative du président-directeur », souligne-t-il.

« Michel Laclotte a été en réalité le premier directeur du Louvre pourvu de vrais pouvoirs », rappelle Pierre Rosenberg qui lui succéda à la tête de l’établissement en 1994 après avoir dirigé le département des Peintures, et dont le mandat jusqu’en 2001 vit le Louvre métamorphosé continuer son expansion interne, s’ouvrir au mécénat et poursuivre sa conquête des publics et sa mission encyclopédique.

À pas de géant, le Louvre s’est hissé au rang du plus grand musée du monde. Lorsqu’en 2001 Henri Loyrette, qui occupait précédemment le poste de directeur du Musée d’Orsay, a pris sa direction, les surfaces d’exposition du musée avaient doublé depuis 1981 et le nombre de ses visiteurs avait augmenté de manière exponentielle. Dès lors, le développement local s’est poursuivi non sans que ne soient relancées les ambitions universelles du Louvre auxquelles ne croyaient pas les prédécesseurs d’Henri Loyrette, en particulier Pierre Rosenberg. L’installation, à l’extrémité sud-ouest du palais, des Arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, aux collections gérées par le Quai Branly, fit l’objet d’un bras de fer avec le président de la République. Pierre Rosenberg le reconnaît : « Le pavillon des Sessions s’est fait contre moi. J’ai essayé de convaincre Jacques Chirac que ce n’était pas le Louvre qui était un musée universel, mais Paris. » Il lui fallut cependant se résoudre à la décision du Président.

Le Louvre, un musée à la recherche de son universalité fondatrice
La question de l’universalité des collections du Louvre, en germe depuis 1793, est une mission désormais prioritaire aux yeux de sa direction. Comme le dit Henri Loyrette, « regarder dans le périmètre du Louvre ce qui a été en marge ou négligé » afin d’y remédier construit désormais une politique de partenariat visant à accroître les collections, notamment américaines, mais à terme également russes, slaves et sud-américaines. Hors les murs, les décisions de son président-directeur ont propulsé l’institution sur d’autres terrae incognitae, d’autres engagements, beaucoup plus ouverts à débats et controverses, car bien éloignés de la politique traditionnelle des dépôts ou des prêts du Louvre en région.

En 2004 d’abord, quand le Louvre passa un accord avec le High Museum of Art d’Atlanta pour un programme d’expositions et un dépôt d’œuvres à long terme (trois ans renouvelables) moyennant finance. Le quotidien The Atlanta Journal-Constitution parla de dix millions de dollars. Puis ce fut le Louvre-Lens qui provoqua à son tour l’agitation dans le monde culturel, inquiet de « la sortie d’œuvres emblématiques qui ne devraient jamais sortir », avant que la création du Louvre-Abu Dhabi sur décision gouvernementale ne l’embrase en 2007.

Pour nombre de personnalités de l’art, l’accord passé sur trente ans avec l’émirat – et pour un milliard d’euros en échange de conseils, de location de savoir-faire et de prêts d’œuvres des musées français – fut vécu comme une trahison, et est encore perçu comme telle face aux ressorts économiques, aux dérives éventuelles et aux conséquences sur l’institution elle-même que sous-tend l’opération qui rapportera au seul Louvre 400 millions d’euros. D’autant que ses réserves ne sont plus pleines d’œuvres cachées et que, dévêtu de quelques-unes de ses pièces majeures, le musée pourrait perdre un peu de sa chair, de sa splendeur auprès des visiteurs.

Quoi qu’il en soit, entre politique territoriale et diplomatie française engagée par l’État, mais aussi politique propre de développement et contraintes financières, le Louvre a pris des allures d’Hyper Louvre. Cette évolution réprouvée, contestée ou au contraire estimée nécessaire et en phase avec la mondialisation des musées jugée irréversible ne peut en effet se décontextualiser de la politique menée par l’État et de la situation des finances publiques. Révolu le temps où les budgets des musées étaient exclusivement portés par l’État. Dorénavant, le Louvre, soumis également depuis la signature avec l’État en 2003 à un contrat d’objectifs et de moyens, doit lever des fonds considérables pour son fonctionnement. « Aujourd’hui, 50 % du budget du Louvre provient du mécénat et des ressources propres », précise Henri Loyrette tout en rappelant que 93 % des dépenses du Louvre sont absorbées par la maintenance du palais et la masse salariale, les 7 % restants incombant à la politique culturelle. Autrement dit, trois fois rien pour subvenir aux besoins de sa politique d’expositions, d’acquisitions, de publication et de développement intra-muros, essentiellement financée par le mécénat. Sans ce dernier, nombre de réalisations à venir n’auraient pu être envisagées, comme les rénovations des salles des Arts décoratifs du XVIIIe siècle, de la cour du Sphinx et du grand escalier, entièrement « mécénées ».

En changeant de taille, « le musée des musées » a changé de nature et ses défis se sont démultipliés, aussi bien pour sa direction que pour l’ensemble de ses départements, amenés, depuis le Louvre-Atlanta, à travailler ensemble. Qu’il ait été obligé ou désireux de se réinventer ailleurs, de soutenir d’autres institutions muséales proches ou éloignées de son cœur, voire de donner naissance à d’autres musées, le Louvre est plus que jamais rentré dans une ère nouvelle que le Louvre-Lens préfigure avec toutes ses ambitions et ses inconnues. « Le Louvre-Lens a pour vocation d’aller vers les personnes qui ne vont pas au musée et d’être un lieu de plaisir, de délectation, d’être un lieu d’enseignement et, également, un vaste laboratoire pour les services des publics », déclare son directeur Xavier Dectot. Cependant, seul le temps dira ce qu’il en sera réellement.

Repères

1793 Ouverture au public du Museum central des arts.

1804-1811 Aménagement de la Grande Galerie, qui accueille aujourd’hui la peinture italienne.

1882 Démolition du palais des Tuileries ravagé par un incendie en 1871 pendant la Commune.

1945 Les collections asiatiques sont transférées au Musée Guimet.

1961-1968 Le ministère des Finances quitte le pavillon de Flore investi au rez-de-chaussée par le département de Sculpture, au premier étage par la Peinture et au 2e étage par le Dessin.

1983 Ieoh Ming Pei est nommé architecte du projet du Grand Louvre de François Mitterrand.

1986 Les collections impressionnistes présentées depuis 1947 au Jeu de paume sont définitivement transférées au Musée d’Orsay.

30 mars 1989 Inauguration de la pyramide du Louvre.

1993 Ouverture au public de l’aile Richelieu dont la couverture des cours intérieures permet l’accueil de pièces monumentales.

2000 Inauguration du pavillon des Sessions où sont présentées les collections ethnographiques, antenne et préfiguration du futur Musée du quai Branly.

2004 Le Louvre signe un accord de partenariat avec le High Museum of Art d’Atlanta incluant un dépôt d’œuvres.

2007 Signature de l’accord entre la France et les Émirats arabes unis pour la création du Louvre-Abu Dhabi.

2012 Inauguration du Louvre-Lens et du nouveau département des Arts de l’Islam dans la cour Visconti du palais parisien.

Autour du Louvre-Lens

Infos pratiques. Inauguration officielle le 4 décembre. Week-end d’ouverture exceptionnelle du samedi 8 décembre à 10 h au dimanche 9 décembre à 18 h. À partir du 12 décembre, le musée est ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Nocturne le premier vendredi du mois, de septembre à juin, jusqu’à 22 h. Entrée libre la première année d’ouverture pour la galerie du Temps et le Pavillon de verre, 9 et 8 e pour les expositions temporaires. www.louvrelens.fr

L’exposition « Renaissance ». Du 12 décembre au 11 mars 2013, dans la galerie des expositions temporaires, le Louvre-Lens présente son exposition inaugurale « Renaissance ». 270 œuvres des collections parisiennes sont réunies dans un même espace pour donner un aperçu inédit du foisonnement artistique de cette période, de l’Italie aux Pays-Bas et à l’Espagne.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : Après le Grand Louvre place à l’Hyper Louvre

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