Allemagne - Confusion des sens

Le Journal des Arts

Le 21 mai 2013 - 683 mots

Le musée de Dresde propose une analyse judicieuse du romantisme de Friedrich confrontant Constable, Delacroix et Goya, mais perd le visiteur dans un accrochage confus.

DRESDE - Découvrir des liens entre artistes, les relations d’influences d’une œuvre à l’autre, les ressemblances formelles ou intellectuelles à l’intérieur d’œuvres distantes de plusieurs décennies : l’histoire de l’art offre ce type de ponts et les expositions comparatives rendent concrètes ce type de liens. À Dresde (Allemagne), l’exposition « Die Erschütterung der Sinne » (en français « Le bouleversement des sens ») tente de discerner les liens et les fils qui unissent quelque seize artistes entre comparaisons formelles et instinctives.

Ulrich Bischoff, à la tête de la Galerie d’art moderne du Musée Albertinum pendant dix-neuf ans, connaît bien ses collections, notamment les œuvres de Caspar David Friedrich, en bonne place dans les salles du musée. « Je me suis demandé à qui l’on pouvait comparer Caspar Friedrich en Europe : j’ai trouvé Constable, Goya et Delacroix », explique le commissaire de l’exposition. À chacun de ces quatre maîtres, il a relié trois autres artistes « suiveurs ». Selon lui, les paysages de Constable sont mis en relation avec les œuvres d’Adolph Menzel, Max Liebermann et David Claerbout. De Delacroix découlent Paul Cézanne, Per Kirkeby et Luc Tuymans. Le romantisme de Friedrich fait alors écho aux œuvres de Vilhelm Hammershøi, de Mark Rothko et de Gerhard Richter, alors que Goya fédère après lui Édouard Manet, Max Ernst et Jeff Wall.

Un parcours obscur
Cette grille analytique de départ, toute personnelle, ces « quatre chemins jusqu’à l’art contemporain » selon le commissaire, convoque des connaissances approfondies de l’histoire de l’art, peu accessibles au profane. Sans doute pour pallier cette difficulté, la médiation a été renforcée avec un livret d’aide très détaillé, indiquant les notices biographiques des artistes. Le parcours dans les neuf salles de l’exposition s’articule autour de thématiques très vagues, aux allures de pot-pourri : « Art et réalité », « La durée de l’instant » ou encore « Différentes formes de mimesis », dont la compréhension est ardue. D’autant plus que le choix a été fait de dynamiter les quatre fils conducteurs de départ en mélangeant les artistes : « les rencontres entre les œuvres sont les plus importantes, elles permettent un regard différent sur les artistes », explique Ulrich Bischoff, qui, outre le noyau des collections de Dresde, a bénéficié de prêts du Louvre, du Prado et du Metropolitan Museum avec des œuvres de choix.

Pour sa dernière exposition en tant que directeur de la Galerie d’art moderne, Ulrich Bischoff s’est offert en outre la collaboration de l’artiste belge Luc Tuymans, qui a organisé l’accrochage des deux premières salles du parcours, où certaines comparaisons sont bien trouvées. Un grand champ coloré de Rothko (Blue and Gray, 1962, Beyeler) répond à Davos, une peinture de paysage de Richter (1981, coll. part.). Les œuvres sont manifestement choisies et disposées avec soin, mais faute d’un appareil didactique cohérent, la compréhension du propos de l’exposition se dilue dans un accrochage hermétique. Parmi les œuvres connues de ces artistes, des chefs-d’œuvre, tels l’Autoportrait de Delacroix (1837), prêté par le Louvre, La Grande Réserve de Friedrich (1832), joyaux des collections de Dresde, ou encore Las Gigantillas ( 1791, Prado) de Goya, charmante scène bucolique. Neuf œuvres d’ Hammershøi, trop peu visibles dans l’Hexagone, sont remarquables mais restent à l’écart, tant l’atmosphère unique des scènes d’intérieur du peintre danois semble incomparable. Les photographies de Jeff Wall semblent s’être égarées dans l’accrochage.

Le catalogue, de très belle facture, révèle certes des clés de compréhension, mais à trop vouloir laisser libre le visiteur et les œuvres, l’exposition perd de vue son fil conducteur : c’est d’autant plus dommage que les œuvres, dans un corpus subtil entre histoire de l’art et goût personnel, auraient pu créer l’émotion au lieu d’un dédale frustrant.

Le bouleversement des sens

Commissariat : Ulrich Bischoff, directeur de la Galerie Neue Meister, Musée Albertinum, en collaboration avec Luc Tuymans
Nombre d’œuvres : 80

Légende photo

Eugène Delacroix, Brigand blessé, 1825, huile sur toile, 32,7 x 40,8 cm, Kunstmuseum, Bâle. - © Photo Martin P. Bühler.

Constable, Delacroix, Friedrich, Goya, Le Bouleversement des sens (Die Erschütterung der sinne)

Jusqu’au 14 juillet, Musée d’art moderne, Albertinum, Tzschirnerplatz 2,Dresde, Allemagne, tél. 49 (0) 351 49 14 97 31, www.skd.museum, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue (en anglais), éditions du musée, 261 p., 29,90 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Allemagne - Confusion des sens

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