Photographie

Alex Majoli au cœur des ténèbres

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2019 - 639 mots

PARIS

Le photoreporter italien, inspiré par le théâtre brechtien, donne à ses scènes de conflit, de violence ou d’exil un caractère suspendu et une tonalité dramatique.

Paris. Alex Majoli, né en 1971, est depuis quelque temps l’un des auteurs les plus prisés de la scène photographique. Après les Rencontres d’Arles 2017 où ont été exposés quelques-uns des grands formats de « Scene », le Bal offre un focus sur cette série singulière. Singulière dans son traitement théâtralisé de l’actualité, qui suscite des avis très partagés au sein de la profession sur le statut de l’image produite et de son usage.

Alex Majoli n’est pas le premier photoreporter à développer à un moment donné de son parcours une réflexion personnelle. La forme dramaturgique qu’il lui donne, au travers d’un mode opératoire spécifique sur le terrain, le distingue toutefois de ses confrères. Conflits, manifestations, camps de réfugiés, montée des nationalismes, attentats ou simples rassemblements de supporters de foot ou de squatters : le protocole de la prise de vue inauguré en 2007 ne varie pas.

Par la combinaison d’un jeu d’éclairages et de flashs, le jour se fait nuit sur la pellicule et la situation baigne dans un clair-obscur, quintessence d’un état de violence, de recueillement, de déploration, d’attente, de lutte ou d’exil. Aucune mise en scène ne préfigure au geste, à l’attitude des corps, à leur déplacement ou à l’expression des visages. Seule la lumière artificielle réalisée avec l’aide d’un assistant ou de deux forme le cadre improvisé et éphémère dans lequel les protagonistes vont et viennent, rentrent et sortent librement, s’installent, s’expriment. Qu’ils soient réfugiés sur l’île de Lesbos, pygmées congolais, manifestants de la place Tahrir (Le Caire), policiers à São Paulo, dockers à Macao ou membres du parti Aube dorée en Athènes, tous ses personnages deviennent les acteurs d’une scène distincte. La théâtralité recherchée dans le réel est directe, affirmée, concrète, mais surtout porteuse de sens. Elle est renforcée par le tirage grand format, protégé uniquement par une dizaine de couches d’un vernis spécifique mis au point par Majoli.

Théâtralité ou surjeu ?

« La théâtralité est une dimension essentielle de l’histoire de la photographie », rappelle Michel Poivert dans Brève histoire de la photographie (éd. Hazan, 2015). Alex Majoli n’a pas lu Michel Poivert mais le photographe italien né à Ravenne a très tôt côtoyé les peintures de Giotto et les avant-gardes théâtrales de la ville, et plus largement italiennes, qu’il fréquente toujours. Dans l’exposition, les citations mises en exergue par les deux commissaires, David Campany et Diane Dufour, renvoient à Pirandello et à Brecht, deux auteurs que le photographe de l’agence Magnum revendique comme source d’inspiration. Mais si le théâtre épique de Brecht transparaît dans les images de Majoli, l’influence du théâtre brut de Peter Brook est perceptible dans la manière de relier le jeu de l’acteur tant au contexte social, économique et politique dans lequel il évolue qu’au mode narratif de la fable. Le découpage du parcours par pays (Congo au premier niveau, et Brésil au sous-sol mis en résonance avec l’Asie et l’Europe) est à ce titre éclairant. À la fois tangible et source fictionnelle, l’événement – ou le « non-événement » – convie des intériorités et use de métaphores. Chaque scène résume l’état d’un être ou d’une communauté de personnes. La théâtralité du réel émerge, figée dans un temps suspendu que seule la promptitude du photographe a permis de saisir, comme d’autres célèbres photoreporters l’ont fait avant lui, de Robert Capa à Eugène Smith.

La forme paroxystique peut agacer, être vue comme un surjeu. Reste que l’exposition comme l’ouvrage coédité par le Bal et Mack suscitent autant d’émotions, de tensions que de fictions troublantes par leur portée universelle. Ce que le mur de photographies constitué pour la région Europe dit bien dans son association de scènes disparates de camps de réfugiés, de nationalistes, de commémorations, de post-attentat ou de bar.

Alex Majoli, Scène,
jusqu’au 28 avril, Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Alex Majoli au cœur des ténèbres

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