Alberto Giacometti, sculpteur et peintre

Par Lord James · L'ŒIL

Le 15 janvier 1955 - 3262 mots

Stampa est un village du canton des Grisons à l’extrémité orientale de la Suisse. C’est un très petit village. Les montagnes qui l’environnent sont très hautes. A l’échelle de la nature et dans un tel paysage, la petitesse de l’homme s’exagère à l’extrême. Alberto Giacometti, l’ainé des enfants du peintre Giovanni Giacometti, est né à Stampa en 1901. Le père est devenu un des premiers peintres post-impressionnistes de la Suisse. On peut voir ses tableaux dans plusieurs musées de son pays. Il gagnait bien sa vie, compte tenu, cela va de soi, que dans le petit village de Stampa (un seul café et pas d’hôtel) la vie, avant la première guerre mondiale, était simple et peu couteuse.

Alberto grandit dans une atmosphère non seulement propice à toute forme d’expression artistique, mais libre aussi de toute contrainte et lui permettant de s’exprimer dans une voie ou une autre. L’atelier de son père se trouvait dans la maison. Dès son plus jeune âge, il commença à peindre et à dessiner. Il illustrait les livres qu’il lisait et copiait tableaux et sculptures d’après des reproductions. Il peignait aussi et dessinait d’après nature. Son père l’aidait. Dès lors sa vocation était évidente.
A l’âge de treize ans, Alberto fît ses premiers bustes d’après nature. Il n’avait alors jamais quitté Stampa et cependant ses premières œuvres s’affirment avec la même autorité que les dernières. Elles rappellent les Grecs postérieurs à Périclès, avec leur forme pleine de grâce, leur subtilité de mouvement et leur texture raffinée. Les premières peintures de Giacometti sont assez pointillistes dans leur manière, mais elles ont une vie et une autorité dans le style assez extraordinaire pour une artiste aussi jeune.

A l’âge de dix-huit ans, il va à l’Ecole des Beaux-Arts. Il y resta trois jours : c’était une affirmation. Après quoi, il étudie la sculpture à l’Ecole des Arts et Métiers. Le métier artisanal est très affirmé chez Giacometti. Il travaille avec son matériau dans un état de constante et d’intense excitation. Ses mains nerveuses et puissantes, semblent effectuer seules la transformation de la terre glaise, matière informe, en la représentation concrète de la vitalité.

Giacometti demeure obstinément subordonné à son œuvre. Sa personne même exprime cela. Dans son atelier, petit et dépouillé, éclairé par une ampoule électrique puissante et flue, il se meut brusquement en tous sens. Le sol est jonché de fragments de sculptures et recouvert des innombrables figures qu’il a détruites. Au dehors, dans l’impasse, le soir naissant est gris, pesant. Il allume cigarette après cigarette. Il murmure une phrase, une question, quelque secret entre lui et son oeuvre. Il se soumet à ce qu’a d’inévitable l’habitude de soi-même.

Giacometti ne pouvait demeurer à Stampa ou en Suisse. Le génie artistique de ce pays est fait de trop d’acquisitions. En 1920, un artiste devait aller à Paris. Paris reçoit tout et ce que Paris accepte est encouragé. Le rôle unique de Paris a été de stimuler, sans souci de discrimination.

Giacometti se rendit d’abord en Italie. A Venise, a—t-il dit, il essaya de ne pas laisser échapper un seul Tintoret. Il est facile maintenant d’imaginer l’attention passionnée qu’il porta aux figures allongées et minces de ce peintre. Le drame statique des groupes sculpturaux des fresques de la Chapelle Arena à Padoue, les figures amincies et douloureuses de Cimabue à Assise, voilà ce qui l’impressionne également. Il séjournera deux ans en Italie, peignant des figures et des paysages, et commençant à en venir aux mains avec l’insuffisance de la convention. Le ciel est-il vraiment bleu? Il travailla à deux bustes et pour la première fois il se sentit perdu. Pas d’autre issue que le problème plastique lui-même, Il se trouve face à face avec la réalité, urgente, pressante, de cinq cents ans de sculpture derrière lui. A Rome, au milieu des ruines, des mosaïques et des vestiges d’un passé qui n’offrait aucune aide, le jeune homme atteint la frontière qui sépare l’art qui interprète de celui qui crée. C’est un point extrême, au-delà duquel il n’y a plus aucune distinction.

Le déclin de la sculpture — à partir du point extrême de perfection qu’elle avait atteint — dans sa représentation spatiale de la figure humaine a été continue et incontestable. Pour Rodin, le traditionnel tour de force était encore possible quoique l’effort soit, par moment, apparent de façon embarrassante et le résultat souvent l’exploitation nue et cynique de formules classiques. Mais il a réussi son coup, si l’on peut dire. Après lui, nul ne pouvait espérer le réussir encore. Il n’était plus possible de présenter la figure humaine : la seule issue pour résoudre le dilemme était de la re—présenter. Pas dans une forme idéalisée à la manière du Greco, des Italiens et de leurs suiveurs, mais dans une forme aussi réelle que la présence immédiate et éphémère de la véritable figure humaine. En bref, le problème devant lequel se trouvait Giacometti était simplement le suivant : est-il encore possible de faire de la sculpture une réalité plausible? Pendant plus de trente ans, son incessante préoccupation a été de résoudre ce problème. S’il l’avait fait, il aurait cessé de travailler dit-il.

Sa raison d’être est d’explorer, non de découvrir, l’acte et non l’accomplissement. C’est une contrainte féconde. Giacometti dit «Pendant vingt ans, j’ai eu l’impression que la semaine suivante je serais capable de faire ce que je voulais faire.» Cette phrase aurait pu être dite par Cézanne.

A vingt et un ans, Giacometti est prêt pour Paris. Son père l’y envoie. Il travaille à l’atelier de Bourdelle, à l’Académie de la Grande Chaumière pendant trois ou quatre ans. Là, essayant de finir ses sculptures, il se trouve en face des difficultés qui avaient contrecarré ses efforts à Rome. Il dit: « Il était impossible de saisir la totalité d’une figure. Nous étions trop près du modèle et à partir d’un détail, un talon ou un nez, il n’y avait aucun espoir d’achever l’ensemble. Mais si, d’autre part, on commençait par analyser le détail, le bout du nez, par exemple, on était perdu. On aurait pu passer une vie entière sans arriver à un résultat accompli. La forme se décomposait d’elle-même ; elle devenait, comme des grains de poussière en mouvement dans le noir, vide profond. La différence entre un côté du nez et l’autre devenait comme le Sahara, illimitée, sans aucun point fixe : tout fuyait. »

Depuis vingt-huit ans, Giacometti occupe à Paris le même atelier. En soi, c’est là l’affirmation d’un parti pris et la rigoureuse simplicité de tout ce qui entoure Giacometti complète la qualité de ce parti pris. Il fuit la possession. Le confort d’un intérieur bourgeois moyen le met tout de suite mal à l’aise. Il s’identifie si complètement avec son oeuvre que ses besoins matériels ne dépassent guère ses moyens d’artiste : la terre glaise, le plâtre, les matières colorantes, le papier, la toile, le bois et les métaux nécessaires à l’expression de sa sensibilité. La puissance physique de Giacometti est immédiatement perceptible sous des vêtements qui, très évidemment, n’ont d’autre sens pour lui que de le couvrir. Sa tête est grosse, posée directement sur des épaules fortes. Les mains sont longues, vigoureuses, faites pour la sculpture, jamais complètement débarrassées des salissures de son travail et jamais immobiles. Sur une table de café ou de restaurant, les doigts de Giacometti tracent continuellement des dessins invisibles tandis qu’il mange et boit. Son expression est intense, quoique détachée, fixée à la fois directement sur ses compagnons et au-delà d’eux. Giacometti est toujours sensible au contact des autres. Il est lui-même expressif, avec aisance et éloquence ; il rit souvent et ponctue sa conversation de clins d’œil rapides, railleurs, d’une intense concentration, comme pour dire « Je vois bien plus de choses que vous ne pensez ». Et sans aucun doute il les voit. Mais il accepte gentiment les gens tels qu’ils se présentent. Sa solitude n’est pas sociale. Par exemple, aucun visiteur ne s’en retourne sans avoir été reçu par lui. Inconnus et amis sont reçus de la même façon, avec la même courtoisie et le même accueil sympathique.

Le nom de Giacometti, pour ceux qui le connaissent, est presque devenu le symbole de la sincérité d’un artiste. Ce qui confirme son attitude morale en tant qu’individu. En 1938, un jour qu’il marchait dans la rue, une auto fit une embardée sur le trottoir et écrasa son pied. Il resta longtemps à l’hôpital et, depuis ce jour, il marche en boitant légèrement. La responsabilité de l’automobiliste était flagrante, mais Giacometti ne fit aucun effort pour réclamer l’indemnité qui lui était due et qui, de toutes façons, aurait été payée par l’organisme impersonnel d’une compagnie d’assurances. Il sentait que faire la moindre réclamation l’entraînerait dans une suite d’engagements financiers qui lui répugnaient et desquels il ne pourrait, finalement, se libérer. « De plus, dit-il, c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux d’être à l’hôpital juste à ce moment-là.» Que cela l’ait été ou non, toujours est-il que c’est à l’hôpital que le chariot à médicaments, roulant à travers les salles, lui donna l’idée initiale de la « Femme au Chariot» qu’il fit douze ans plus tard.

On peut imaginer facilement combien l’oeuvre ampoulée de Bourdelle a pu devenir, peu à peu, insupportable à Giacometti. Entre leurs buts respectifs, il y avait à peu près la même relation qu’entre ceux de Cecil B. Mille et ceux... disons de Luis Bunuel Au bout de quatre ans, il quitte Grande Chaumière. C’est à ce moment environ, en 1930, que Giacometti s’associe au mouvement surréaliste. Il manifesta une règle de conduite en accord avec sa nature et ses intentions. Giacometti n’aurait jamais pu, en suivant le caractère pressant et impératif des buts qui étaient les siens, participer à certains divertissements frivoles des surréalistes. Et pourtant, dans la mesure où il rassembla pour un temps les artistes les plus vivants de la jeune génération d’après-guerre, le surréalisme représentait un état d’esprit auquel Giacometti ne pouvait pas, logiquement, rester indifférent. De son oeuvre de cette période, Giacometti dit «Depuis que je désirais rendre un peu de ce que je voyais, je commençais, par désespoir, à travailler dans mon atelier de mémoire. J’essayais de faire quelque chose que je puisse sauver de la catastrophe.» (La catastrophe était son impuissance à faire une simple sculpture dont la réalité en tant que représentation de figure humaine lui parût convaincante.) « Cela produisit des objets qui étaient le plus proche possible de ma vision de la réalité.» (Il se réfère des oeuvres en spécifiant qu’elles sont des objets — détail très significatif pour son évolution postérieure.) « Mais il me manquait encore, poursuit-il, ce que je sentais dans l’ensemble, une structure, un élément d’acuité que j’y voyais, une sorte de squelette dans l’espace. Il y avait un autre élément qui me frappait dans la réalité le mouvement. Je pouvais seulement le rendre réel et effectif, et je voulais aussi communiquer la sensation provoquée par son existence. Mais tout cela, peu à peu, me poussait hors de la réalité extérieure. J’avais une tendance à ne me soucier que de la construction des objets eux-mêmes. J’étais troublé par la réalité qui me semblait être ailleurs. Les objets étaient sans fondement et sans valeur, bons à être rejetés. »

En 1932, Giacometti expose avec les surréalistes à la Galerie Pierre Colle. Un ou deux ans plus tard, il fit dans la même galerie une exposition individuelle. Mais l’impasse lui devenait de plus en plus intolérable. C’est alors que, accidentellement dirait-on, et pourtant suivant la fatalité inéluctable qui précipite l’évolution de l’art, les intuitions qui l’avaient obsédé pendant les premiers temps de son séjour à Rome, cristallisèrent et se transformèrent en crise. En 1935, il prend un modèle avec l’intention de faire quelques figures pour une composition qu’il avait dans l’esprit. Il croyait que ces esquisses ne lui prendraient pas plus de deux semaines il travaille d’après son modèle, chaque jour, pendant cinq ans. « Rien, dit-il, n’était comme je l’imaginais. » Très vite, il abandonne l’idée de faire des figures, trop difficiles, et concentre son activité sur des bustes. Une tête lui semblait un objet absolument étranger et sans dimensions. Il recommençait de nouveau, du tout premier commencement, comme ai rien n’avait existé auparavant en sculpture. Deux fois l’an, il commençait deux têtes, toujours les mêmes, sans jamais achever la réalisation de l’une d’elles. Finalement, afin de découvrir quel pouvait être le résultat de tout cet effort, il se remit à travail1er de mémoire. Mais, désirant communiquer ce qu’il voyait, il s’aperçut — à Sa terreur, dit-il — que les sculptures devenaient de plus en plus petites. Elles lui semblaient d’une ressemblance raisonnable, seulement quand elles étaient minuscules. Ces dimensions, cependant, le révoltaient et, infatigable, il recommençait de nouveau, avec pour résultat d’arriver au même point plusieurs mois plus tard. Une grande figure lui semblait fausse et une petite insupportable. Quelquefois, ses statues devenaient si minuscules que, d’un dernier coup de couteau, elles disparaissaient en poussière. D’un incessant labeur qui dura huit ans environ, presque rien ne subsiste. La tâche qu’il s’était assignée à lui-même a dû lui paraître, par moments, assez semblable à celle de l’alchimiste — insoluble. Et cependant, l’intégrité et la validité de cet effort ne sauraient en être niées. Il suffit de se souvenir ici encore de Cézanne. Le parallèle, comme nous allons le voir, est plus qu’extérieur.

En 1945, les manifestations de l’exploration progressive et obstinée de Giacometti commencent à changer. Il fait une grande quantité de dessins et cela le conduit à réaliser des figures plus grandes. Il le fait. Mais à sa vive surprise, elles ne lui paraissent d’une ressemblance acceptable que quand elles sont longues et minces. Cet élément de surprise, pour Giacometti, est une garantie de l’authenticité de son oeuvre. A ce moment, il a déjà fait l’unique découverte qui rend l’acte de sculpter possible pour lui.

Le problème fondamental de Giacometti est de démontrer que le pouvoir de la sculpture a toujours été de représenter la figure humaine, en dépit du manque de sens que peuvent présenter les particularités individuelles de celle-ci. Il est devenu clair pour lui que la somme des détails d’une figure donnée ne peut représenter sa réalité. Les sculpteurs classiques nous mettent en présence d’une individualité idéalisée. Giacometti s’est dévoué à la représentation d’une généralité littérale. Les figures de Giacometti sont établies dans l’espace aussi arbitrairement que les figures réelles qu’on peut voir à n’importe quel moment au bout d’une avenue ou de l’autre côté d’une chambre. Notre perception de la réalité ne changera pas, que nous soyons plus près ou éloignés d’elles, alors que, dans la sculpture classique — parce qu’elle présente une somme de détails —, perception est sujette à une décision arbitraire. Tel est l’effet révolutionnaire de la découverte de Giacometti en imposant une condition de perspective inflexible a ses figures, il a résolu le dilemme d’une cohérence apparent aux formes multiples d’une figure humaine dans l’espace.

Les hommes et les femmes des sculptures de Giacometti ne sont pas des symboles. Ce ne sont pas des évocations ésotériques conçues pour les «happy few ». Ils sont aussi réels pour nous que, par exemple, les habitants d’un pays que nous n’avons jamais visité et à la réalité desquels nous devons croire pour rester convaincus de la nôtre. Pendant quinze ans, Giacometti n’exposa pas une seule fois. Après une exposition à Paris en 1948 il exposa en Europe et aux Etats-Unis. Le public ne pouvait que répondre l’originalité et à la qualité de l’oeuvre de Giacometti. Les expositions furent des succès. Cela ne toucha pas Giacometti. Il était sur la voie d’autres problèmes.

Avant 1947, Giacometti avait fait relativement peu de peintures. Entre 1937 et 1947, époque de désespoir et de lutte farouche avec les problèmes de la sculpture, il cessa de peindre complètement. Puis, il se remit à peindre et, cette fois, plus sérieusement que jamais. Les problèmes particuliers de la peinture deviennent vite aussi impérieux que ceux de la sculpture. Néanmoins, il avait moins de difficulté à les résoudre l’acuité de ses perceptions pour ce qui était de la sculpture lui était d’un grand secours. De plus, la question de l’espace — son incessante préoccupation — est une difficulté moins exigeante en peinture, puisque l’existence des dimensions, en peinture, est une illusion, acceptée comme telle. Les sculptures de Giacometti contraignent l’espace à apparaître dans la réalité; ses peintures sont l’organisation remarquable d’un espace illusoire. Le sujet même peut parfois sembler secondaire au regard de cette nécessité conceptuelle. Mais non. Quand Giacometti tend l’espace autour d’une figure, il représente cette figure aussi explicitement que Cézanne représente la Montagne Sainte-Victoire, en établissant, dans l’espace, la relation entre la montagne et son oeil. De même, comme Cézanne, Giacometti s’est livré tout entier et absolument aux exigences de sa «sensation ». Les résultats, peur l’essentiel tout au moins, ne sont pas dissemblables. Les deux hommes, au départ, adhérent à l’axiome de Baudelaire de la sincérité absolue source d’originalité. Les pommes de Cézanne et celles de Giacometti ne sont pas — tout bien pesé — semblables, mais la représentation d’une pomme demeure, dans sa vérité et sa présence, unique. Giacometti est essentiellement un sculpteur, et il y a dans ses peintures un poids de la matière qui est absent chez Cézanne. Cependant1 la présence réelle d’un être humain n’est pas moins irrésistible dans les portraits de Madame Cézanne que dans ceux d’Annette Giacometti.

Ces considérations, dirait Giacometti, sont à côté de la question, et nul doute qu’il les trouve présomptueuses. Le problème central demeure la réalisation, dans l’ensemble de son oeuvre, d’une réalité qui soit aussi identique que possible à la vision qu’il en a. Dans ce but, Il travaille sans répit. Dans son petit atelier, la lumière brille jusqu’à une heure avancée, nuit après nuit, hors des saisons, sans se préoccuper d’aucune des préoccupations humaines et fantaisistes auxquelles lui seul peut donner une signification plus durable. L’existence de ses figures continue celles qui survivent et celles qui disparaissent aussi inévitablement que dans la vie. L’atelier continuera à exister pris dans le flot des événements quotidiens les guerres, les dimanches après-midi, les jeux de football des enfants, les travailleurs traversant la Place Denfert-Rochereau sous la pluie, les garçons à bicyclette dans l’automne et les grandes et minces femmes immobiles et inapprochables à travers les vitres, derrière les façades de toutes les maisons, dans toutes les rues de nos cités réelles et illusoires. Tout cela c’est la confusion et l’encombrement miraculeux de l’atelier de Giacometti. C’est la présence de cela la poussière de la réalité couvrant le sol et que nous emportons à la semelle de nos souliers et déposons partout ou nous passons, comme les empreintes de fantômes plus réels que nous, affirmation du lien fragile qui nous relie à notre propre réalité, mais seulement pour le temps que nous pouvons supporter ce lien. Ces traces, cependant, sont les clefs significatives du mystère de la condition humaine. Nous ne pouvons rien faire d’autre que les suivre.

L’oeuvre de Giacometti est celle d’un grand artiste. Rien n’est plus simple ni plus compliqué au monde. C’est une expression du monde lui-même la nature de l’homme et la représentation qu’il en donne dans l’art sont scrupuleusement et inextricablement liées ensemble. Si scrupuleusement et inextricablement, en fait, qu’elles deviennent interchangeables. La définition constamment variable de la civilisation est un effet de cette relation réciproque. A la surface de chaque époque, elle est définie à nouveau par la présence de quelques personnalités créatrices, dont les noms deviennent une condition de l’époque, reliant cette époque au passé et à l’avenir. Tel est Alberto Giacometti.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°1 du 15 janvier 1955, avec le titre suivant : Alberto Giacometti, sculpteur et peintre

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