A Paris

7 clefs pour comprendre l'art maori

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 11 octobre 2011 - 1257 mots

Pays hôte de la Coupe du monde de rugby 2011, la Nouvelle-Zélande est sous le feu des projecteurs. Le Musée du quai Branly se met opportunément à l’heure maorie et consacre à cette culture fascinante une foisonnante exposition.

1- Au centre de la société maorie, la maison communautaire

Centre névralgique de la communauté, la maison de réunion apparaît aujourd’hui encore comme le centre physique, culturel et spirituel de la société maorie. Considérée comme la matérialisation du corps de l’ancêtre de la tribu, elle se présente comme une grande halle richement décorée. Parmi les éléments décoratifs, deux catégories de sculptures se distinguent : les piliers centraux et les panneaux sculptés. Soutiens physiques de la maison et piliers métaphoriques de toute la communauté, les piliers centraux (ci-contre) sont des éléments architectoniques dont l’iconographie véhicule les principes masculins et féminins de la société traditionnelle.

À la base de ces piliers sont parfois représentés, sous la forme de portraits stylisés, des ancêtres ayant joué un rôle primordial dans l’histoire de la communauté. Plus complexe, l’iconographie exubérante et très expressive des panneaux muraux (page de gauche) s’inspire des histoires tribales mythiques ou des grands événements historiques.

2- La musique, une pratique culturelle omniprésente

Les récits fondateurs occupent une place prépondérante dans les traditions mais également dans la vie quotidienne des Maoris, comme l’illustre l’origine mythologique de la musique. Ranginui, le ciel père, aurait créé la mélodie et Papatuanuku, la terre mère, aurait donné naissance au rythme, grâce aux battements de son cœur. Leurs descendants sont considérés comme les inventeurs des instruments de musique traditionnels, une origine mythologique qui explique l’omniprésence de la musique dans la vie sociale, communautaire et privée des Maoris.

Cette genèse nous éclaire également sur la finesse et le soin apportés par les sculpteurs au travail de ces pièces, ainsi que sur leur répertoire iconographique. À l’image de cette flûte-trompette sur laquelle est représenté un des ancêtres de la tribu sur l’orifice central ; une façon de matérialiser la survivance de la tradition en perpétuant le contact symbolique entre les différentes générations, et de réactiver la puissance spirituelle de la musique.

3- Le tatouage, un marqueur identitaire indélébile

Emblématique de la culture maorie, le tatouage est une pratique ancestrale strictement hiérarchisée. Art d’inciser et de colorer la peau, il se distingue par ses motifs fortement stylisés au relief très prononcé, un résultat obtenu par l’utilisation du ciseau et du maillet, une technique qui le rapproche de la gravure voire de la sculpture sur bois.

Marqueur identitaire indélébile, le tatouage est une représentation codifiée du lignage de celui qui l’arbore, une sorte d’arbre généalogique ; le répertoire de motifs d’un tatoueur se compose ainsi de modèles et de concepts issus des traditions ancestrales, mais également de l’iconographie propre à chaque tribu. Particulièrement éprouvant, le tatouage confère prestige et autorité à celui qui le reçoit. Tombée en désuétude au début du XXe siècle, cette pratique connaît un regain d’intérêt depuis quelques décennies. Elle s’inscrit dans le sillage des luttes d’émancipation du peuple maori comme symbole de l’exaltation de ses traditions indigènes.

4- La navigation et la pêche, deux pratiques ancestrales

Selon les récits fondateurs, les ancêtres des Maoris seraient arrivés en Nouvelle-Zélande sur des pirogues. Cette genèse explique le lien spécifique que le peuple maori entretient avec la navigation ainsi que l’importance conférée à la pirogue dans son univers cosmologique ; en effet, au fil des siècles, les Maoris ont perpétué la tradition de parer leurs embarcations d’ornements finement sculptés, à l’instar des délicates proues en bois ajouré.

Ce lien privilégié avec la mer, les poissons et les créatures aquatiques, dont la pêche a représenté un facteur essentiel de la subsistance des Maoris, démontre en outre le profond respect que cette culture porte aux divinités marines, comme en témoignent ses objets de pêche soigneusement conçus et décorés. Emblématiques de la déférence des Maoris envers leur environnement, les hameçons étaient ainsi délicatement façonnés dans des matériaux nobles tels que le bois, l’os ou le coquillage, et considérés comme des offrandes offertes pour honorer une nature bienfaisante.

5- « Hei tiki », la figure incontournable de l’art maori

Ornement emblématique et célèbre de la culture maorie, « hei tiki » est un personnage anthropomorphe dont la signification exacte n’est pas clairement établie. Incontournable de toute l’iconographie contemporaine, on le retrouve décliné sur tous types de supports, il est habituellement porté en pendentif et fait partie, avec le collier en dents de requin, des parures classiques. Traditionnellement fabriqués en bois ou en os, ceux qui sont réalisés à partir du jade de Nouvelle-Zélande, le pounamou, sont particulièrement précieux et se distinguent par leurs qualités esthétiques mais également par les valeurs éminemment symboliques attribuées à ce matériau. En effet, les Maoris, à l’instar d’autres grandes cultures ayant travaillé le jade, prêtent à la néphrite, de par ses propriétés plastiques ainsi que sa rareté et sa difficulté d’extraction, une puissance quasi mystique. Le pounamou posséderait ainsi une véritable force vitale, une particularité amplifiée par la transmission de la pièce de génération en génération.

6- Les trésors personnels, des objets d’art de prestige

Qu’il s’agisse de parures, de vêtements précieux ou encore d’objets cérémoniels, les trésors personnels se distinguent par leur qualité d’exécution et la richesse des matériaux dans lesquels ils ont été réalisés : néphrite, os de baleine ou essences de bois rares. Traditionnellement inspirés d’objets dont l’origine remonte à certains mythes fondateurs, ces trésors, ou « trésors des temps anciens », se chargent au fil du temps de l’autorité et de la force vitale de leurs propriétaires successifs.

La nature quasi sacrée de ces pièces leur confère du prestige et impose un grand respect dans leurs conditions d’utilisation. Malgré leur caractère rituel et la nature précieuse de leurs matériaux, il ne faut cependant pas imaginer que ces objets sont dépourvus de fonction autre que symbolique. Ainsi l’herminette cérémonielle est-elle encore utilisée lors de rituels de consécration, comme la réalisation de la première encoche dans un tronc d’arbre destiné à la construction d’une nouvelle maison de réunion.

7- Une culture ancestrale soluble dans l’art contemporain

Ambassadeur des valeurs et des revendications modernes de l’identité culturelle, l’art contemporain maori jouit d’une reconnaissance internationale croissante, notamment grâce à une large représentation de ses protagonistes au sein des grands rendez-vous internationaux, tels que la Biennale de Sydney. Très variées, les pratiques artistiques maories se situent au cœur des manifestations contemporaines de l’exaltation de l’identité culturelle indigène. Les artistes s’inspirent soit des concepts clés de la culture maorie, soit des paysages grandioses de Nouvelle-Zélande, ou encore revisitent l’iconographie maorie, à l’image du travail protéiforme du plasticien Reuben Paterson. Par l’utilisation des motifs issus de la tradition visuelle maorie auxquels il insuffle des éléments plastiques provenant de l’iconographie contemporaine, notamment les codes de l’Op Art, Paterson crée des œuvres métissées et représentatives d’une culture profondément ancrée dans sa tradition et projetée dans l’avenir.

Autour de l'exposition

Infos pratiques. « Maori. Leurs trésors ont une âme », jusqu’au 22 janvier 2012. Musée du quai Branly. Ouvert le mardi, mercredi et dimanche de 11 h à 18 h et le jeudi, vendredi et samedi de 11 h à 21 h. Tarifs : 7 et 5 €. www.quaibranly.fr
Les Maoris sur France 5. Le 27 octobre à 21 h 30, France 5 diffuse le documentaire Maori. Le réalisateur Michel Viotte retrace dans une première partie l’histoire de la culture puis rencontre ceux qui la font vivre aujourd’hui à travers son renouveau artistique. Les dessins de Sophie Ladame ponctuent ce voyage dont la sortie DVD, premier opus de la collection « Dialogues avec le monde », est prévue le 9 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°640 du 1 novembre 2011, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre l'art maori

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