Expo.02

La Suisse au regard du monde

L'ŒIL

Le 1 juin 2002 - 1279 mots

S’inspirant du principe des Expositions Universelles, l’Exposition nationale suisse se tient, pour sa sixième édition, dans deux régions, sur trois lacs et dans quatre villes : Bienne, Morat, Neuchatel et Yverdon-les-Bains, et ce, pendant 159 jours. Un événement culturel et festif incontournable offrant près de 1800 spectacles et 10 000 interventions artistiques.

159 jours, cinq cantons, quatre villes, trois lacs, deux langues. Ces données font office de programme pour la sixième Exposition nationale suisse. Le modèle est unique. La première édition de Zürich, en 1883, se présente comme une foire commerciale, un outil de promotion pour les richesses industrielles suisses. Celle de Genève, en 1896, sous l’influence de l’Exposition Universelle de Paris (1889) s’ouvre aux aspects culturels. Suivent celles de Berne en 1914, de Zürich en 1939 et de Lausanne en 1964 où les noms de Max Bill et Jean Tinguely restent associés à la manifestation. Le rituel veut donc qu’il y ait une exposition par génération, un événement-bilan permettant de questionner la cohésion nationale suisse dans un pays confédéral où Alémaniques, Romands, Italophones et Romanches défendent leur propre spécificité. Plus que jamais, l’« Expo.02 » est placée sous le signe de cette identité plurielle. Celle qui s’affiche sans complexe au regard du monde, celle qui s’ouvre sur le monde. Elément déterminant, La Confédération helvétique a fait le choix stratégique et politique d’un territoire et non plus d’une ville. La région des Trois-Lacs s’est imposée. Bilingue, comprenant les cantons de Berne, Fribourg, Neuchâtel et Vaud associés pour l’occasion au canton du Jura, elle offre avant tout à l’exposition le sujet de son premier parc à thème : la beauté bien connue du paysage. Proches des lacs, Bienne, Morat, Neuchâtel et Yverdon-les-Bains ont été élues pour servir chacune de site à l’« Expo.02 ». En 1995, Pipilotti Rist, égérie locale, est appelée à définir les grandes orientations du projet. Son mot clé, « l’arteplage ». C’est-à-dire ? Le « concept » désigne la réunion d’un parc d’expositions sur la rive et d’une plate-forme construite sur le lac. Les thèmes ? grands, ils se proposent de questionner notre rapport au monde : « pouvoir et liberté », « instant et modernité », « nature et artifices », « moi et l’univers ». Structures démontables, matériaux utilisés pour la construction recyclables, l’élaboration du projet s’est accompagnée d’une réflexion sur la notion de développement durable. D’abord programmé pour 2001, différents obstacles essentiellement financiers reportent l’événement d’un an. Pipilotti Rist quitte l’aventure en 1999, mais ses thématiques seront conservées par l’actuel directeur artistique Martin Heller. Annoncé aujourd’hui à 1 milliard d’euros, le budget est reparti pour un tiers à la confédération et aux collectivités, un autre au sponsoring et le dernier pour le ticketing et merchandising. En vrac, d’autres chiffres témoignent de l’ampleur de la manifestation : 40 pavillons/expositions thématiques financés par les entreprises privées, 10 000 concerts et représentations divers qui s’étendent du théâtre et de la danse aux spectacles multimédias en passant par le cinéma et le sport, 700 salariés permanents et plus de 7 000 en comptant les équipes de l’exploitation. Des dispositifs impressionnants à destination des 4,8 millions de visiteurs attendus pour cette édition. Lieu de réflexion voulu par ses organisateurs, les titres des expositions parlent d’eux-mêmes : « Qui suis-je ? de l’être et du paraître » ; « Robotics : qui est l’homme, qui est la machine ? » ; « Aua Extrema : l’eau, l’élément essentiel à la vie » ; « Jardin d’Eden-fascination santé » ; « Le jardin de la violence » ; « Bien travailler, bien s’amuser : ce qui fait briller les yeux des enfants » ; « SwissLove », etc.
Pour convaincre, le genre interactif « high tech » est dominant. Sans doute, trop ébloui par le déploiement des technologies, le spectateur privilégiera les questions : « comment ça marche ? » ou encore « c’est quoi ce machin ? » au détriment des questions de sens : « de quoi on me parle ? » Imposant néanmoins, le Pavillon en forme de lingot, recouvert d’or ! (oui du vrai !) de la Banque nationale suisse, « Argent et Valeur-le dernier tabou » signé Harald Szeemann, et sa machine à détruire les billets. Captivants aussi, les projets d’urbanisme futuristes des cinq équipes interdisciplinaires de l’exposition « Territoire imaginaire : plus que des châteaux en Espagne ». Onirique encore, l’univers visuel et sonore de Laurie Anderson pour le pavillon « Wer bin ich ? » (puis-je savoir qui je suis ?).
Au programme musical, les grandes figures médiatiques comme Simple Minds côtoient les projets expérimentaux à l’exemple de ce concert de téléphone portable Telesymphony orchestré par les artistes new-yorkais Golan Levin et Scott Gibbons. Le septième art a choisi le plein air. La programmation met l’accent sur les cartes blanches aux festivals, entre autres le Festival international du Film de Locarno présente ses coups de cœur 2002 et le Viper (International Festival for Film, Video and New Media) certainement le plus avant-gardiste, propose une sélection des derniers films réalisés via la vidéo, le numérique ou encore Internet.
De cet ensemble, c’est le 23e canton suisse, alias AMJ (arteplage mobile du Jura) et son bateau, conçu par Didier Fiuza Faustino et Pascal Mazoyer, qui remporte la mise. Soucieux de conserver toute l’énergie et la provocation dont ont usé les séparatistes jurassiens pour finalement obtenir leur indépendance en 1974, le jeune Juri Steiner (chef de l’AMJ) semble s’être pris au jeu du capitaine de navire (pirate) pour donner toute la pertinence à ce grand rendez-vous. Au programme : la Suisse d’aujourd’hui en sept chapitres ; de la « Suisse politique » à la « Suisse humanitaire », en passant par « Gloire et misère de la Suisse » et « La Suisse et l’argent ». Les formes de représentation sont multiples : concert, théâtre, débat, poésie, performances, etc. L’exposition « Cafard » illustre la rigueur portée à la programmation. Elle rend un hommage de taille à trois grandes figures « mélancoliques » suisses. Jean-Luc Godard a réalisé pour l’occasion un film intitulé, Pour toi patrie, une installation photo et vidéo présente les œuvres de Robert Frank et de Dieter Roth est montrée l’installation Scènes en solo, présentée à la dernière Documenta. D’évidence, c’est tout de même l’architecture qui fait figure d’icône dans cette exposition : l’incontournable cube flottant en acier rouillé de Jean Nouvel à Morat, le nuage de Diller Scofidio à Yverdon-les-Bains, piloté par un « nuage designer », les tours « cassées » de Coop Himmelb(l)au à Bienne, le Bateau Scène de Mésarchitectures pour le canton du Jura et les galets sur pilotis de Jacques Sbriglio à Neuchâtel. Et signée, une fois n’est pas coutume, par les jeunes artistes suisse Sabina Lang et Daniel Baumann : l’hôtel Everland d’Yverdon-les-Bains, « vaisseau bungalow » à une chambre avec vue imprenable sur le lac. Surprenant enfin, le peu d’artistes plasticiens ou de designers pour un tel déploiement d’intentions et d’enjeux culturels. Premiers « prestataires » visés ici, les grandes entreprises de conceptions scénographiques ou les cabinets d’architecture confirmés. Dommage ! Bonnes surprises (trop rares), les affiches 4 X 3 des portraits de groupe d’Olaf Breuning, disposés sur les quatres arteplages ou encore l’Octogone de Roman Opalka.
Il existe depuis plusieurs années une remise en cause importante de la légitimité de ces grandes expositions. Ses principaux détracteurs de dire qu’elles n’apportent plus l’ouverture au questionnement économique et social qu’elles offraient à leur début et qu’elles se transforment en un véritable parc à thème plus proche du parc d’attractions que d’une exposition de culture. Le débat reste ouvert. A charge, pour le prochain rendez-vous français de l’exposition internationale de la Seine-Saint-Denis en 2004, de relever le défi.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Expo.02

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