Rêve de Monuments

À l’évocation d’un château-fort ou d’une cathédrale, ce ne sont pas toujours de savantes considérations architecturales ou historiques qui viennent à l’esprit, mais plutôt des visions plus romanesques dont l’imaginaire collectif s’est saturé au fil des siècles. Chevaliers sans peur et sans reproches tout droit sortis des légendes arthuriennes, passages secrets et souterrains abritant des trésors oubliés, ruines mystérieuses témoignant de la gloire d’une époque passée ou demeures séculaires de vampires et autres fantômes au destin tragique, l’esprit vagabonde et l’on a tôt fait de réécrire une version toute personnelle de l’histoire du monument.

Organisée par la CMN, « Rêves de monuments » se propose de revenir aux sources de cet imaginaire, et fait dialoguer tout au long de son parcours ces visions fantasmées et idéales avec la réalité médiévale. Pour les commissaires de l’exposition Christian Corvisier et Francis Adoue il n’était pas question d’opposer une froide logique scientifique à ces chimères populaires, mais plutôt d’en expliquer l’origine. La scénographie signée Massimo Quendolo et Léa Saito invite au contraire le visiteur à s’immerger dans cet imaginaire en le faisant évoluer dans une pénombre mesurée qui donne aux voûtes et colonnes gothiques de la conciergerie une aura de mystère.

L’exposition revient d’abord sur les fondements médiévaux de cette vision idéale et mythique de l’architecture monumentale qui trouve son origine dans l’illustration de textes anciens tels que le roman courtois ou les chansons de geste. Les représentations de cités idéales et de la Jérusalem céleste dans les enluminures de l’époque sont le parfait exemple de cette architecture rêvée. Ces visions idéales donneront naissance à de véritables édifices entre le XIIIe et le XVe siècle. Des cathédrales gothiques qui s’élèvent toujours plus haut vers le ciel et des palais princiers commandés par des aristocrates qui se voulaient l’égal des héros des romans de chevalerie.

L’âge classique – qui est celui de l’ordre planifié – est passé sous silence pour arriver au XVIIIe - XIXe siècle, caractérisé par un regain d’intérêt pour le Moyen-âge. C’est l’époque des grandes restaurations où l’idéal primera bien souvent sur la réalité historique du bâtiment. À l’inverse, c’est aussi le temps du romantisme, avec des ruines mises en scène et des jardins à l’anglaise, où l’on fait de ces édifices usés par les siècles des visions propices à la réflexion et à la mélancolie, derniers témoins d’un « âge d’or » disparu. Ces représentations sentimentales et fascinées seront illustrées notamment par un dessin visionnaire de Victor Hugo ou d’œuvres picturales de Daguerre.

Enfin, « Rêves de monuments » fait la part belle aux visions plus contemporaines de ces monuments anciens. Revisité par le roman gothique anglais, le château médiéval devient farouche et menaçant, l’abbaye trône désormais au centre de cimetières brumeux et ses cryptes recèlent de terribles secrets. Ce thème du château noir, qui sera largement repris par la littérature populaire trouve également ses origines dans la réalité. Certains édifices sont devenus mythiques grâce à leurs histoires, comme par exemple le château de Gilles de Rais, surnommé Barbe Bleue, ou encore la Bastille, forteresse-prison détestée, restée symbolique même après sa destruction complète à la révolution.

Le parcours s’achève avec la présentation de ces idéaux mis au goût du jour par notre époque. Littérature, films, jeux vidéos, dessins-animés, bandes dessinées, jouets pour enfants, la vision gothique du château-fort survit dans « l’héroic fantasy » et les films d’horreur, et le château des contes de fées dans les représentations irréelles de Disney. Si les supports ont changés, les fantasmes eux demeurent.