Egypte : la "nouvelle maison" de Toutankhamon retardée par le manque de fonds

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 1 juillet 2015 - 738 mots

LE CAIRE (EGYPTE) [01.07.15] - Medhat Abdallah, conservateur de musée en Egypte, affiche un sourire amusé quand on lui parle de \"la malédiction\" de Toutankhamon, tout en nettoyant un fabuleux lit en plaqué-or découvert il y a près d'un siècle dans le caveau funéraire de l'enfant-roi.

L'antique lit, vieux de quelque 3.300 ans, n'a jamais été exposé au public. Mais il trouvera sa place -comme des centaines d'autres pièces du trésor de Toutankhamon, dont un masque mortuaire en or massif de 11 kg incrusté de lapis-lazulis et de pierres semi-précieuses- dans un nouveau "méga-musée" que les autorités égyptiennes construisent près des pyramides de Guizeh. "Nous étudions comment ces objets étaient conçus à cette époque", explique M. Abdallah, s'activant dans un des laboratoires du futur "Grand musée égyptien".

Mais près de dix ans après le lancement du projet, les travaux sont loin d'être achevés, malgré les 5.000 ouvriers qui se relaient quotidiennement sur le site. En cause: un manque de financement et l'instabilité politique déclenchée par la révolte de 2011 qui chassa Hosni Moubarak du pouvoir.

L'inauguration du musée devait avoir lieu en 2015 mais a été reportée à 2022, selon des responsables. L'immense complexe s'étendra sur 47 hectares et abritera près de 100.000 antiquités, dont les 4.500 pièces du trésor de Toutankhamon, découvert en 1922 dans la vallée des Rois à Louxor.

La momie du pharaon -mort à 19 ans en 1324 av. J.C. après avoir régné neuf ans- restera cependant dans sa tombe en Haute-Egypte en raison de sa fragilité.

- 'Coup de poignard' -

La construction de la "nouvelle maison" de Toutankhamon permettra de désengorger le mythique Musée du Caire, qui abrite au coeur de la capitale les trésors de l'Egypte antique.

"C'est un véritable entrepôt: il est sombre et les milliers de pièces exposées sont comme abandonnées", s'insurge l'archéologue de renom et ancien ministre des Antiquités Zahi Hawass, en référence à ce musée qui abrite près de 163.000 antiquités, dont plus de 100.000 dans ses réserves.

L'ancien ministre de la Culture Farouk Hosny affirme d'ailleurs avoir eu l'idée du nouveau musée après une visite à Paris, durant laquelle un expert s'était moqué de "l'entrepôt" qu'était devenu le Musée du Caire.

"C'était comme un coup de poignard au coeur. C'est à ce moment que j'ai pensé à construire un musée grandiose près des pyramides", se souvient M. Hosny.

"Les trésors de Toutankhamon sont exposés dans deux galeries seulement, ce n'est pas digne de ces fantastiques objets", s'exclame Tarek Tawfik, chef de projet du nouveau musée, où "ces antiquités seront exposées de manière à rappeler l'environnement dans lequel elles ont été découvertes".

En janvier, la presse avait révélé une réparation maladroite du masque funéraire de Toutankhamon, qui avait laissé un disgracieux paquet de colle sur la barbe symbolique du pharaon.

- 'Jamais ouvert' -

Avec le retard accumulé, les coûts ont explosé, faisant passer à 1,1 milliard de dollars (972 M EUR) le budget initialement estimé à 800 millions de dollars, affirme le ministre des Antiquités Mamdouh al-Damaty.

Le projet bénéficiait d'un prêt du Japon de 340 millions de dollars.

"Puis on a eu une révolution, le Grand musée était en crise", déplore M. Damaty, qui précise que des discussions sont en cours avec le Japon pour un nouveau prêt de 400 millions de dollars.

Les violences qui secouent l'Egypte depuis la révolte de 2011 -et qui ont empiré après la destitution par l'armée du président islamiste Mohamed Morsi en 2013- ont porté un coup dur au tourisme, secteur-clé de l'économie.

En 2014, seuls 9,9 millions de touristes ont ainsi visité l'Egypte, contre près de 15 millions en 2010.

Toujours est-il que le gouvernement a récemment alloué 284 millions de livres égyptiennes au projet (32 millions d'euros). Et pour attirer des donateurs, M. Damaty mise sur une pré-ouverture en mai 2018 qui permettra aux visiteurs de découvrir le trésor de Toutankhamon.

Mais M. Hawass se montre sceptique, rappelant les défis économiques de taille auxquels les autorités font face.

"Comment pouvez-vous prendre de l'argent public pour construire un musée, quand les autorités doivent allouer des fonds à la population pour l'électricité, des logements ou acheter à manger ?", s'interroge M. Hawass, maintes fois critiqué pour sa gestion des antiquités. "Ce musée ne sera jamais ouvert."

Et pour certains touristes, il est inconcevable d'imaginer le trésor de Toutankhamon ailleurs qu'au musée du Caire.

"Ce lieu ancien est magique", s'exclame Alejandro Russo, un touriste argentin. "C'est la seconde tombe de Toutankhamon. Il doit vivre ici."

Par Jay DESHMUKH
 
Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque