Embonpoint

Vous avez dit sculpture ?

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 708 mots

Le Lieu Unique propose une passionnante rétrospective de l’œuvre d’Erwin Wurm.
Entre facétie et gravité, un questionnement sans fin de la sculpture

NANTES - Un bras au bout duquel la main se voit flanquée d’un irrévérencieux majeur relevé... transformé en fontaine (Untitled (Fountain), 2007) ! C’est l’une des plus récentes œuvres d’Erwin Wurm, jamais vue en France, qui ouvre au Hangar à Bananes la seconde partie de la rétrospective que le Lieu Unique, à Nantes, propose de l’artiste autrichien. Différente, par le nombre et le choix des travaux, de celle que le Musée d’art contemporain de Lyon lui a consacrée l’été dernier, cette exposition couvre vingt ans de création et offre la particularité de se tenir en deux lieux distincts, permettant par là même une remarquable double mise en perspective de sa pratique.

Postures sculpturales
D’un côté, au Lieu Unique, prime l’acte humain. Beaucoup de photographies en témoignent. Ainsi de la série originelle des fameuses One Minute Sculptures (1997) et quelques avatars telles les Outdoor sculptures réalisées à Cahors (1999) ou à Taipei (2000). Ou encore ces irrésistibles Instructions pour l’oisiveté (2001), qui sur des portraits suggestifs de l’artiste invitent à rester en pyjama toute la journée, faire des siestes aux toilettes du bureau ou fantasmer sur le nihilisme. Autant de postures qui, pour Wurm, procèdent d’une recherche sur une volumétrie qui engage le corps, dont l’image n’est plus qu’un vecteur permettant de garder trace des actes exécutés. Outre qu’elle reformule la qualité même de « l’objet » sculpture, cette pratique installe comme une dialectique inversée du déploiement, lorsque depuis le tridimensionnel s’effectue un retour vers le plan.
Posée au centre d’un espace ouvert, agencé avec rigueur et clarté, une estrade voit ci et là des objets attendant qu’on s’en saisisse afin de réaliser une action – dont les instructions et schémas d’exécution sont griffonnés à même le sol – et dont le caractère instable et éphémère implique les notions de maîtrise et contrôle. Réalisé pour l’occasion, un mur sur lequel se succèdent les témoignages manuscrits des employés du Lieu Unique, racontant comment ils se sont trouvés dans des situations embarrassantes (Embarassment Sculpture, 2007), devient presque une sculpture mentale du lieu en ce qu’il conserve la mémoire de ceux qui l’occupent tout en générant une forme visuelle.
Chez un artiste ayant déclaré que « changer la masse et le volume est un acte sculptural. Prendre ou perdre du poids est aussi un acte sculptural », les deux films figurant un personnage devenu difforme à force d’enfiler des vêtements (13 Pull-over, 1991, Fabio getting dressed, 1992) sont réjouissants. Ils assurent également une transition cohérente avec le Hangar à Bananes, où s’entreposent plusieurs pièces ayant trait à l’obésité : une rutilante grosse voiture rouge dont même les sièges ont pris de l’embonpoint (Convertible Fat (Porsche), 2005), sa moins heureuse Fat House (2003) et ses récentes Mind Bubbles (2007), sortes de grosses patates habillées de pulls, très attachantes, qui toutes portent en titre un sentiment tel Rire ou Ridicule.
Dans cette seconde partie, c’est l’objet qui est mis en exergue. Un objet qui donne à l’art l’immédiateté du quotidien, tout en lui imprimant un fort contenu discursif. À l’instar des Disciplines de la subjectivité (2006), faites de socles en équilibre sur des oranges naturelles ou d’une voiture debout sur le côté, retenue par des stylos feutres. Outre qu’elles font de l’usuel le plus banal les prémices du geste sculptural, ces travaux, comme d’autres chez l’artiste, se font un malin plaisir de dérouter codes et usages de l’utilitaire.
Car ce qui, finalement, marque sans doute le plus le travail de Wurm, c’est que son caractère vivant et provocateur, sa manière de se jouer de la nature des choses avec une délicieuse légèreté, le rendent intrinsèquement libre, dans la forme autant que dans l’esprit.
« On m’a dit qu’une maison ne peut être grasse », s’inquiète, dans la vidéo Am I a house ? (2005), la maison obèse en quête d’identité. « Mais je suis une maison ! »

- ERWIN WURM, jusqu’au 16 mars, Le Lieu Unique, quai Ferdinand Favre, Le Hangar à Bananes, quai des Antilles, 44000 Nantes, tél. 02 40 12 14 34, www.lelieuu nique.com, tlj sauf lundi 13h-20h, dimanche 15h-19h. Cat. éd. Hatje Cantz, 302 p., 46,95 euros, ISBN 978-3-7757-1866-0.

ERWIN WURM
- Commissaire : David Moinard, programmateur
des arts visuels au Lieu Unique - Nombre d’œuvres : environ 150
- Surface totale : 2 800 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Vous avez dit sculpture ?

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