Architecture

Une architecture de l’altérité

Coopération

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2010 - 755 mots

Trois maîtres d’œuvre exposent à la villa Noailles, à Hyères, les projets qu’ils ont conçus pour des pays en développement.

HYÈRES - L’architecture est multiple. Elle n’est pas que geste, mais peut se révéler humble, comme le montre cette exposition intitulée « Construire autrement » et déployée dans les salles voûtées de la villa Noailles, à Hyères (Var), dans une scénographie modeste mais qui sied foncièrement au propos.

 « Construire autrement », c’est avant tout construire « là-bas », dans des pays en développement (Thaïlande, Bangladesh, Afrique du Sud) et pour des populations défavorisées. Sont donc exposés plusieurs projets réalisés par trois très jeunes maîtres d’œuvre : d’un côté, l’Allemande Anna Heringer, 33 ans, architecte depuis 2004 ; de l’autre, le duo norvégien Andreas Grøntvedt Gjertsen et Yashar Hanstad, respectivement 29 et 28 ans, fraîchement diplômés de la Faculté d’architecture de la Norwegian University of Technology and Science de Trondheim, mais ayant déjà construit au sein de l’association caritative Tyin, qu’ils ont fondée durant leurs études.

Contrairement aux « architectes de l’urgence » que l’on évoque à nouveau ces jours-ci avec les tremblements de terre d’Haïti ou du Chili et qui, comme leur nom l’indique, répondent à une situation d’urgence, l’action de ces deux agences s’inscrit dans la « non-urgence », soit le long terme.

Pas question non plus d’avoir une attitude quelque peu « colonialiste » en apportant clés en main savoir-faire et matériaux occidentaux – à l’instar d’un Jean Prouvé débarquant à Niamey (Niger), en 1949, avec, dans ses valises, les fameuses… Maisons tropicales. Non, ce qui fait toute l’originalité des réalisations de Heringer et de Tyin, c’est précisément la démarche constructive.

Celle-ci tient en trois temps : d’abord « digérer » techniques et savoir-faire propres au pays d’accueil – les réinterpréter ; puis user de matériaux locaux ; enfin, faire en sorte que la population s’empare dudit processus de construction afin d’assurer la continuité une fois les auteurs rentrés chez eux. Bref, un subtil dosage entre « apport extérieur » – l’architecte et sa méthode – et traditions régionales.
Sur les murs blancs de la villa Noailles sont affichées des photographies couleur des réalisations. Au centre de la pièce, une table accueille des plans et images de détails.

Et ont été construits, grandeur nature, trois prototypes : deux modèles de façade ; la salle Tyin ; et un élément de structure porteuse, la salle Heringer. Pour l’orphelinat « Soe Ker Tie », à Noh Bo (Thaïlande), Gjertsen et Hanstad ont édifié, à l’attention des réfugiés Karen, six abris qui semblent aussi légers que des papillons. Les fondations consistent en de vieux pneus emplis de béton et les façades sont des panneaux tressés de lamelles de bambous, dont les interstices laissent circuler l’air et jouer la lumière naturelle. Ailleurs, un diaporama en accéléré montre la construction du panneau de façade.

Un bambou porteur
Cette exposition est l’occasion, pour le visiteur, de découvrir un matériau incroyable : le bambou. Fragile quand il dessine des motifs délicats, celui-ci est solide – plus que l’acier ! –, lorsqu’il devient structure porteuse. Autre particularité : il s’assemble manuellement à l’aide de corde, grâce à une suite de nœuds méticuleux. L’idée de « construire avec ses mains » apparaît indéniablement en filigrane des projets ici présentés. Dans ses réalisations à Rudrapur, au Bangladesh, Anna Heringer a même baptisé, non sans humour, l’école « Handmade » [« fait main »] et trois maisons familiales « Homemade » [« fait maison »].

Manière de dire le côté physique, voire sensuel, du travail de la terre. Ces édifices sont, en effet, constitués de deux parties : un étage en bambou et un soubassement en terre, une terre que les buffles ont mélangée à de la paille en la piétinant de leurs sabots, et par là même solidifiée. De ces matériaux pauvres et de ces savoir-faire traditionnels naît une esthétique étonnamment contemporaine. « La modernité n’est pas une question de matériau, estime l’architecte allemande, c’est une question de langage architectural. »

Pour l’école Handmade, son premier édifice, Anna Heringer a décroché en 2007 le prix Aga-Khan d’architecture. Dans l’épaisseur d’un large mur de terre, elle a creusé des alvéoles comme autant de nids protecteurs. Les élèves viennent s’y lover pour lire, en contact direct avec la glaise rafraîchissante.

CONSTRUIRE AUTREMENT
Commissaires de l’exposition : Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles, et Florence Sarano, architecte et commissaire
Photographes : Pasi Aalto pour les projets de Tyin ; Kurt Hoerbst et Alexandra Grill pour les projets d’Anna Heringer
Nombre de salles : 4

CONSTRUIRE AUTREMENT, jusqu’au 28 mars,villa Noailles, montée de Noailles, 83400 Hyères, tél. 04 98 08 01 98, tlj sauf lundi, mardi et jf, 10h-12h30, 14h-17h30, .

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°321 du 19 mars 2010, avec le titre suivant : Une architecture de l’altérité

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