Apesanteur

Un auditorium « furtif »

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2013 - 835 mots

Pour l’aménagement du grand hall du siège de la Banque de France, l’agence Moatti & Rivière suspend le volume de la salle de conférence au plafond libérant ainsi l’espace et la perspective.

PARIS - La Banque de France, institution bicentenaire créée sous le régime de Napoléon Bonaparte, n’a jamais cessé de représenter la puissance et le pouvoir, à l’image de la forteresse de pierre du début du XXe siècle qui abrite aujourd’hui le siège et derrière les murs de laquelle règne le secret : d’ancestraux souterrains se croisent dans ses sous-sols et ces derniers abritent toujours les réserves d’or de l’État français dans une gigantesque salle bunker de 11 000 m2, « la souterraine », un lieu ultra-protégé par des portes blindées et verrouillé par une tourelle pivotante.

Créée en 2001. L’agence Moatti & Rivière a connu plusieurs fois l’occasion de collaborer avec des institutions fortes et d’œuvrer au sein de bâtiments chargés d’histoire : c’est à Figeac, dans la maison native de Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes égyptiens, que les architectes ont installé le Musée des écritures du monde, livré en 2007. Une année plus tard était inauguré par les ex-présidents Sarkozy et Chirac, le « monument invisible », un bâtiment construit en sous-sol de la cour des Invalides, abritant l’Historial Charles-de-Gaulle et qui exigeait de traiter conjointement deux patrimoines. Depuis ses débuts, l’atelier a principalement réalisé des projets intégrant d’anciens édifices, mais ils ne doivent pas être envisagés sous le seul aspect de la rénovation : « quoique nous fassions, nous sommes toujours dans une extension de l’ancien – même s’il s’agit de créer un bâtiment neuf  – où l’enjeu est de propulser le lieu dans une modernité et de donner du sens à l’histoire, laquelle continue. Pour cela nous cherchons des situations que l’on n’oubliera pas, tout en installant des fonctions prenant sens l’une par rapport à l’autre », explique Alain Moatti.

Une masse éclipsée par les reflets
L’hôtel de Toulouse, édifié au XVIIe siècle, rue de la Vrillière, et situé à quelques pas du siège de la Banque de France, était inadapté à l’organisation des réunions et conférences de l’institution. Classé et comprenant de riches boiseries et peintures, le lieu est trop fragile pour accueillir des rassemblements, d’où l’idée d’organiser un concours en 2007 portant sur la création d’un nouvel auditorium et de sept salles de réunion dans le grand hall du siège, rue Croix-des-petits-champs.

Parmi les cinq agences appelées à participer, seuls Alain Moatti et Henri Rivière eurent l’audacieuse idée de suspendre la salle de conférences au plafond afin de conserver la perspective dans la totalité de l’espace du rez-de-chaussée. Ici, l’architecture rencontre l’orfèvrerie et l’auditorium, traité comme un écrin précieux, disparaît dans un jeu d’insaisissables reflets entre sols et plafonds grâce à son habillage uniforme de plaques d’inox miroir. « L’absence est le thème le plus difficile à traiter en architecture […], l’œuvre d’Anish Kapoor qui l’aborde de façon remarquable nous a fortement inspirés », explique Alain Moatti. Accroché en hauteur au moyen d’une structure en U inversé, le volume furtif aux pièces d’angles arrondies a nécessité les techniques de l’industrie navale pour sa fabrication.

Un lieu ouvert à la lumière naturelle
La profondeur du hall est ainsi préservée et elle est accentuée grâce à l’apport de lumière par la création de patios plantés à la place d’anciens guichets, de même que par l’installation d’une verrière en fond de plateau. Autour de celui-ci sont réparties les salles de réunion vitrées. À l’intérieur de l’espace de conférences noyé dans un bleu pénétrant – celui représentant la Banque de France –, une grande ouverture vitrée prolonge la vue jusqu’à la rue, accrochant ainsi davantage le lieu à son contexte. Sur ses parois latérales, la technique acoustique se mue en élément de décoration avec des protections faites de tissu absorbant dont l’imprimé reproduit une photo d’un plafond de l’hôtel de Toulouse proche, une façon de rendre le lieu inoubliable en quelque sorte. « Je ne sais pas si nos lieux sont beaux, mais ils ont une très forte identité. Nous faisons des objets uniques », précise Alain Moatti. L’actualité parisienne de l’agence reste prestigieuse avec l’aménagement du premier étage de la tour Eiffel tandis qu’à Montreuil, elle réalise un ensemble de logements sociaux.

L’agence Moatti & Rivière

Après des parcours et des formations atypiques, Alain Moatti, architecte et scénographe et Henri Rivière, architecte et designer (1965-2010) décident de s’associer en 2001. Défendant la posture suivante : « L’architecture est la création de lieux imaginaires auxquels nous donnons un visage dans la réalité », le duo est devenu célèbre avec la réalisation du siège social de la maison de couture Jean-Paul Gautier à Paris en 2004. On leur doit également la Cité de la Dentelle et de la Mode de Calais, l’Historial Charles-de-Gaulle aux Invalides ou encore la Grande Halle multimédia d’Arles. Suite au décès d’Henri Rivière en 2010, Alain Moatti dirige seul l’agence et réalise actuellement l’aménagement du premier étage de la tour Eiffel ou encore la réhabilitation du musée des arts décoratifs de Marseille.

Banque de France

Maître d’ouvrage : Banque de France

Maître d’œuvre : Agence Moatti-Rivière

Habillage en inox : Entreprise d’agencement Paul Champs

Superficie : 4 750m²

Coût : 11M€ HT

Concours : 2007

Livraison : novembre 2012

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Un auditorium « furtif »

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