Suisse

Tinguely chez lui

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 717 mots

À l’occasion de la parution d’un nouveau catalogue, le Museum Tinguely de Bâle revisite sa collection considérablement enrichie depuis sa création.

BÂLE - Depuis l’inauguration du Museum Tinguely en 1996, l’artiste avait peu été revu dans l’institution bâloise portant son nom, en tout cas pas avec cette ampleur. Jean Tinguely (1925-1991) est de nouveau à l’honneur du Museum Tinguely qui conserve le plus important ensemble de ses œuvres – soit environ un millier de pièces, parmi lesquelles 120 sculptures et près de 900 travaux graphiques – avec un accrochage qui, bien que pléthorique et emplissant la totalité des 3 000 mètres carrés de surfaces d’exposition, n’est nullement indigeste. Voulu par la Fondation Roche, à laquelle Niki de Saint Phalle fit don de 52 sculptures et de nombreux dessins après la mort de l’artiste – avec pour condition d’œuvrer à la création d’une structure de conservation –, le musée construit par l’architecte Mario Botta, s’est dès l’origine, enrichi de dons venus des familles Hoffmann et Oeri, propriétaires de l’entreprise pharmaceutique, mais aussi de collectionneurs. Des dons ultérieurs, venus notamment de Pontus Hultén, le premier directeur des lieux, et quelques achats ont jusqu’à très récemment permis de voir régulièrement entrer de nouveaux numéros à l’inventaire. C’est la conception d’un nouveau catalogue de la collection, une somme de plus de 500 pages appelée à devenir un ouvrage de référence, qui est à l’origine de la présente exposition. L’ancienne publication épuisée, il est apparu manifeste que les informations avaient besoin d’un sérieux rafraîchissement, pour ne pas dire d’une remise des compteurs à zéro, afin d’apporter une matière nouvelle en élargissant le point de vue porté sur les œuvres, tout en éradiquant des erreurs répercutées de publication en publication.

Un nouveau regard éclaire l’œuvre
Le travail engagé permet notamment de reconsidérer l’apport de Tinguely à la pratique du happening et d’un art immatériel, qui n’est pas ce qui vient en premier lieu à l’esprit à l’évocation de son nom. De nombreuses actions ont pourtant été menées par l’artiste, dont les plus radicales eurent lieues au début des années 1960 et que documentent quelques films, reliques et témoignages regroupés dans une salle du parcours. Le visiteur y redécouvre son action autodestructrice Homage to New York, exécutée au MoMA le 17 mars 1960, où en une petite demi-heure est partie en fumée une immense installation. Deux ans plus tard, c’est dans le désert du Nevada qu’explosait un vaste dispositif machinique dans une action que ne renierait pas son compatriote Roman Signer. D’autant qu’au-delà de l’aspect léger voire amusant pris par la performance, le titre Study for the End of the World laisse poindre, si ce n’est du pessimisme, du moins une certaine inquiétude.

Le mouvement érigé en art
Or ce que démontre le parcours pour l’essentiel chronologique, c’est que très vite après les travaux des années 1950, où Tinguely réinvente à sa manière la peinture et le dessin grâce aux « Méta-mécaniques » permettant au public de dessiner et aux Méta-Kandinsky (1954) ou Méta-Malevitch (1956) qui voient des formes s’animer sur le plan du tableau et adopter des compositions aléatoires, l’usage du bricolage et de la machine inscrit le processus transformatif dans une certaine absurdité.
Montrer la mécanique contribue à donner à voir les entrailles du système, voire à les pénétrer comme c’est le cas de la Méta Maxi-Maxi-Utopia (1987), la plus vaste des installations exposées qui, de par ses dimensions et ses rideaux rouges, se charge d’une dimension théâtrale, et où le public peut se faufiler et grimper sur des escaliers. De même qu’au-delà de la quête musicale entretenue par une large part de l’œuvre, le mouvement constant confine à une certaine inutilité. Préoccupations politiques et sociales percent également, notamment dans la série des « Balubas », inspirées par la situation instable de l’ancien Congo belge au début des années 1960. Prenante est également Mengele-Danse macabre (1986), sombre installation où des machines agricoles rouillées ornées de crânes d’animaux et de bois brûlé composent un perturbant décor. Permettre la redécouverte d’un Tinguely jetant sur le monde un regard inquiet autant qu’amusé confère à cet accrochage son plus grand intérêt.

TINGUELY@TINGUELY, UN NOUVEAU REGARD SUR L’ŒUVRE DE JEAN TINGUELY

Jusqu’au 30 septembre, Museum Tinguely, Paul Sacher-Anlage 1, Bâle (Suisse), tél. 41 6 681 93 20, www.tinguely.ch, tlj sauf lundi 11h-18h.

Catalogue éd. Kehrer, 552 p., 58 CHF (48€)

TINGUELY

Commissaire : Roland Wetzel, directeur du musée

Nombre d’œuvres : environ 270

Voir la fiche de l'exposition : Tinguely @ Tinguely - Un nouveau regard sur Jean Tinguely et son oeuvre

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : Tinguely chez lui

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